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Société Normande de
Transports et de Manutention |
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AU HAVRE
Notre filiale
LA SOCIÉTÉ NORMANDE DE TRANSPORTS ET DE MANUTENTION
COSIGNATAIRE DES PREMIERS NAVIRES PORTE-CONTAINERS DE L'AMERICAN EXPORT ISBRANDTSEN LINES
Par Jean-Michel POIRSON, Attaché à la Direction de l'U.I.M.
C'est en effet depuis Novembre 1966, que l'Armement Américain Isbrandtsen a remplacé ses navires classiques par des porte containers
spécialisés, et que notre Agence locale participe ainsi à la plus grande
révolution de l'histoire du transport maritime. Comment ne pas éprouver
le désir d'aller voir sur place ce qui * *préfigure déjà l'avenir de
notre Marine Marchande ?
Le visiteur qui descend du train, passe par le quai Casimîr-Delavigne
pour se rendre au quai de la Floride sur le port ; il **ne * *manque
donc pas de s'arrêter au siège de la S.N.T.M. où il reçoit l'accueil
sympathique du Directeur, M. Jego, et de son dynamique Adjoint M. Hansen.
Déjà, l'activité fébrile qui règne dans les bureaux, le ton des
discussions où le mot « Container » revient sans cesse, éveille toute
l'attention et la curiosité ; sur le mur, un grand planning où les
containers sont représentés par une fiche d'identification, permet de
suivre leur acheminement et de connaître en permanence leur position
précise ; mais le navire est à quai, et les manutentions vont bientôt
commencer, il faut partir au port.*
*L'intense circulation automobile fait perdre du temps, excite
l'impatience, quand enfin, apparaissent les aires de stockage avec leurs
rangées de containers impeccablement alignés. D'emblée on est frappé par
la netteté et la propreté de l'ensemble, accentuées sans doute par le
brillant métallique des containers. L'aménagement des lieux est
parfaitement rationnel ; en arrière du poste à quai, de vastes hangars
sont prévus pour entreposer les marchandises après dépotage ou avant
remplissage des containers qui ne peuvent être expédiés directement vers
leur destination finale ; enfin derrière les hangars s'étendent les
terre-pleins de stockage.
Le long du quai, l'un des deux sistership en ligne, le « Container Forwarder », dresse ses 24880 LT à côté d'une unité plus modeste de
l'Armement Finlandais « Container Ship » dont la S.N.T.M. assure en même
temps la consignation. Visiblement, c'est là que se trouve le centre
d'intérêt du quai de la Floride : un personnel affairé ordonne les
opérations de manutention sous l'œil admiratif de quelques spectateurs
attirés par ce ballet moderne de la technique qui bouleverse l'aspect et
la vie traditionnels du port. Surpris et impressionné, le regard ne sait
plus bien où se fixer ; pourtant, ce sont les deux portiques géants qui
se déplacent électriquement sur le pont qui retiennent l'attention avec
leurs 25 tonnes de puissance utile. Suspendu au bras mobile du portique,
un palonnier vient coiffer le dessus du container ; des pitons
s'engagent alors dans les évidements des pièces de coin où ils sont
verrouillés automatiquement.
Dès son arrivée, M. Hansen, connu de tous, ne manque pas un salut,
recueille les observations, donne ses directives, et enfin monte à bord
du « Forwarder » pour prendre contact avec le Commandant. Quel visiteur
se ferait prier pour le suivre ?
Il s'agit de navires construits en 1946, reconvertis en 1966 à Chester
aux Etats-Unis. D'une longueur de 172,20 m et d'une largeur de 23,47 m,
leur tonnage brut est de 16 790 tx et net de 11 079 tx ; avec un
déplacement de 24 880 LT, ils filent 16.5 nœuds. La structure comprend
quatre cales composées chacune de quatre groupes de six cellules à
glissières ; chaque cellule contient six containers sauf dans les formes
; enfin, la pontée est prévue pour supporter deux hauteurs de containers
sur chaque cellule. Ainsi le navire a-t-il été conçu pour recevoir 738
containers au total.
A bord, le personnel manutentionnaire est français, y compris les deux
hommes qui manœuvrent les portiques ; à les voir opérer, nul doute
qu'ils ont tiré profit de la formation spéciale qu'il ont reçue : il faut beaucoup de maîtrise et d'adresse pour amener
correctement le palonnier sur le container et positionner celui-ci dans
sa cellule, ou sur la remorque à terre, sans à-coups ni temps morts ;
les relations entre le pont et les cabines des portiques se font par
postes émetteur-récepteur portatifs ; tout est remarquablement
coordonné, au chargement comme au déchargement les attentes étant
réduites au minimum.
Une entente de stevedoring a été conclue par notre filiale pour
l'acquisition du matériel de manutention à terre ; l'investissement
réalisé est substantiel : il comprend dix remorques pouvant recevoir
chacune un container normalisé jusqu'à 30 pieds de longueur, huit
tracteurs pour le service des remorques, et un portique mobile pour les
opérations de transfert entre véhicules et guai, ou encore entre les
divers emplacements du parc de stockage ; à cet équipement spécialisé,
il faut ajouter des chariots élévateurs à fourches classiques équipés de
fourreaux prolongeant les bras pour permettre la manutention des
containers vides. A première vue, ces 'engins mécaniques facilitent
considérablement la tâche des dockers, mais ils substituent souvent à la
peine physique une attention permanente, une habilité de technicien, et
surtout une aptitude aux cadences élevées gui assurent à ce mode de
transport sa pleine rentabilité.*
*Revenus à terre, un coup d'œil mérite d'être accordé au portique mobile
: ses qualités évolutives pour un engin aussi lourd et encombrant en
font un outil tout à fait adapté pour des manutentions rapides ; son
poids à vide est de 30 T, c'est-à-dire qu'il atteint 50 T en charge avec
des containers de 20 T chargés, soit 12,5 T pour chacune des quatre
roues supportant l'appareil ; le conducteur faisait preuve d'un bon
entraînement : tirant avantage de toutes les possibilités de son engin,
il réalisait une cadence moyenne d'environ trois minutes pour une
opération de transfert gui ne nécessitait pas de déplacements importants
entre deux manœuvres ; avec ses 9 mètres de large, le portique peut
enjamber un wagon pour y prendre un container et le déposer par le
travers, soit au sol, soit sur une remorque, ou vice versa ; sa hauteur
est également suffisante pour permettre le gerbage de deux containers
dans le cas de stockage au sol ; malheureusement ses dimensions lui
interdisent l'accès des hangars, le transport entre le lieu
d'entreposage des marchandises et les containers se faisant par les
chariots élévateurs à fourche ; le transfert du bateau au wagon et vice
versa nécessite également une manutention intermédiaire en raison de
l'éloignement des rails sur le guai de Floride, l'amplitude du
déplacement transversal des bras de portique du navire n'étant pas
suffisante pour pouvoir présenter le palonnier à l'aplomb du wagon.*
*Regardons maintenant les containers ; d'une longueur de 6 mètres, leur
section est carrée avec deux mètres quarante de côté, ce gui leur donne
un volume intérieur de 31 mètres cubes ; ils peuvent recevoir une charge
utile de 18 tonnes avec une tare allant de 1 588 à 2 023 kilos ; à
l'intérieur, les colis sont arrimés suivant les procédés habituels, par
calage, saisines ou clefs selon les cas. La direction des douanes
autorise la circulation des containers étrangers en France en exigeant
une immatriculation de la S.N.C.F.
Nous avons aussi remarqué quelques containers frigorifiques de
dimensions moyennes ; notons à cet égard que la pontée du « Forwarder »
et du « Despatcher » permet l'arrimage de containers frigorifiques de 12
mètres ; ainsi, les marchandises périssables n'échappent-elles déjà plus
à un mode de transport dont les possibilités d'adaptation technique
s'avèrent de plus en plus étendues.
Il a suffi de quelques heures passées au quai de Floride pour nous
rendre compte de l'effort réalisé au Havre, premier port Français par
ses relations avec les Etats-Unis ; l'adaptation portuaire était prévue
en trois étapes ; dans la situation actuelle, compte tenu des
installations du quai Joannès-Couvert, il ne reste plus que les deux
dernières étapes à réaliser : d'abord, 800 mètres de quai sur la rive
nord de l'extension du bassin de marée destiné aux grands navires porte
containers, doivent être mis en service dans les deux ans à venir ;
enfin en 1971 un nouveau quai de 1 300 mètres de longueur en bordure de
la zone de transit et de magasinage sera ouvert aux navires atteignant
150 000 tdw, grâce à une grande écluse maritime qui mettra en
communication le bassin de marée avec les bassins intérieurs à niveau
constant ; cette écluse pourra être franchie à marée basse par les
navires de 13 mètres de tirant d'eau.
De semblables transformations au port amènent logiquement à se demander
si les problèmes d'adaptation se limitent là ; en fait, la
containerisation ne s'arrête pas au stockage sur des terre-pleins
aménagés à cet effet ; certes le dépotage peut avoir lieu sur place,
mais l'objectif final de ce système de transport n'est-il pas le
porte-à-porte ; aussi ce sont toutes les données du transport qui sont à
reconsidérer, la règle maîtresse du container est la continuité, il
exige donc une étroite liaison de tous les éléments qui interviennent
dans sa translation depuis son point de départ à l'usine ou l'entrepôt
jusqu'à son lieu de destination ; mais la formule de continuité implique
en elle-même un minimum de manutentions, une rapidité maximum
d'exécution ; tout progrès en la matière se fera donc en fonction du
facteur temps, chaque fois que le coût de l'innovation sera compensé par
l'économie réalisée en délai de transport ou de manutention. Mais de
tels bouleversements ne vont pas sans remettre en cause des habitudes,
des activités traditionnelles dont la reconversion serait à souhaiter,
car ce progrès technique comme toute mutation économique est une
destruction créatrice qui, en faisant disparaître certaines activités,
en crée d'autres.
C'est ainsi que les transitaires ont dû prévoir les menaces qu'une
généralisation du transport par container géant sur l'Atlantique
viendrait faire peser sur leur avenir avec la formule la plus élaborée
du porte-à-porte ; l'adaptation nécessaire de leurs structures est en
voie de réalisation ; tenant compte du fait que les industries
européennes ne sont pas à la mesure des industries des Etats-Unis, et
qu'en conséquence, le volume des échanges est beaucoup moins important à
partir du continent européen, nos transitaires tablent sur des
chargements de marchandises souvent diverses, constituant un ensemble
hétérogène nécessitant des opérations préalables de groupage ; à
l'arrivée, les chargements homogènes venant d'Amérique donneront lieu à
des opérations inverses de groupage et de distribution aux divers
destinataires ; l'exécution en sera confiée à des centres créés dans les
principaux ports et dans les grandes villes industrielles de l'intérieur
; le premier de ces centres est exploité au Havre depuis peu par une des
Sociétés Techniques pour le Transport par Containers (SOTECO) qui, une
fois toutes constituées seront regroupées au sein d'une Association
Nationale devenant l'interlocuteur valable des organismes parallèles à
l'étranger tel que la Conship en Allemagne ou la Contrex en Hollande. Un
exemple louable d'adaptation est ainsi donné par les transitaires qui se
sont hardiment tournés vers l'avenir en recherchant les solutions
susceptibles de promouvoir l'expansion du transport par container.
Nous vivons actuellement une période transitoire où les Armements
Américains expérimentent des trafics au long cours par containers
géants, c'est donc pour nous, l'occasion ou jamais de suivre de près une
telle expérience, et d'en tirer les leçons pour notre propre avenir ; la
visite que nous avons effectuée au Havre nous a permis de voir que si le
milieu portuaire n'est pas opposé dans son ensemble à cette évolution,
chacun reste parfaitement conscient des problèmes qui se posent aux
Armements Français pour adopter une telle spécialisation ; l'ampleur des
investissements réalisés ne peut être justifiée que par l'assurance de
trouver à l'aller comme au retour un volume suffisant de marchandises,
des structures portuaires et intérieures de dégagement appropriées.
Dans le cas des American Export Isbrandtsen Lines, les difficultés de
démarrage connues jusqu'ici ont été d'ordre technique, les adaptations
nécessaires au Havre ayant été réalisées à temps pour assurer des
rotations régulières des deux navires actuellement en ligne. En
participant à l'une des premières grandes aventures des transports
spécialisés par containers sur l'Atlantique, notre filiale bénéficie
actuellement des plus riches enseignements pour la préparation de notre propre «
révolution » qui se fera peut-être plus vite que d'aucuns le pensent encore
aujourd'hui. De toute manière, l'étude préalable des containers est une
assurance sur l'avenir, qui permettra le moment venu d'être en mesure de suivre
le progrès technique plutôt que d'avoir à le subir en se retranchant sur de
vaines positions défensives de survie.
b/U.I.M. n°48/06-1967
Sources :
Archives et publications UIM.
Révision
2012-08-02
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