La pratique du métier d'armement

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NOTES ET CONSEILS POUR LA PRATIQUE DU METIER d' ARMEMENT

Vous avez une très bonne formation dans votre métier de Mécanicien, et cela n'appelle de notre part aucune recommandation particulière pour l'exercice de votre profession. Mais dans ce métier de l'Armement, vous vous trouvez en présence de nombreux problèmes qui, plus ou moins apparentée à la mécanique, demandent de votre part une adaptation pour laquelle votre expérience n'est pas encore suffisante pour pouvoir, en toutes circonstances, tirer votre épingle du jeu.

 

Il est d'abord un principe directeur qui doit toujours être présent à votre esprit, et je le résume. C'est la notion du temps et de l'argent; rien que cela pose des problèmes nombreux et nécessite l'application d'habitudes tirées de l'expérience, telle que l'estimation rapide des temps de main d'oeuvre et des poids? puis le jugement à concevoir sur telle ou telle personne, ou tel Expert, qui peut vous nuire ou vous aider, car n'oubliez pas qu'on a toujours besoin de l'entendement des gens à qui on a à faire, et cela implique, bien sur, d'entretenir avec tous de cordiales relations, qu'ils soient Agents d'affaires ou commerciaux, gens de Marine, Courtiers, Commissaires d'avaries, Ingénieurs de travaux, Experts d'assurance, de Sociétés de classification, de la navigation, de tribunaux, de fournisseurs, etc... Chacune de ces personnalités se trouve toujours sur votre route, soit pour vous aider, soit aussi pour nuire à vos affaires, mais cela ne veut pas dire qu'il faille céder à tous leurs désirs. Mais la discussion doit toujours rester courtoise, il y a tout à y gagner, car n'oubliez pas que les problèmes se traitent plus souvent par la bande que de front. Je veux dire : ne pas s'obstiner en contradictions, mais agir de telle sorte que la partie adverse, comme vous-même, y trouve aussi son compte, car ainsi que vous, il a une mission à remplir dans les règles de l'art. Vos confrontations doivent toujours, à moins d'évidence absolue, aboutir à un moyen terme, qui donne satisfaction sous tous les rapports : travaux, sécurité, temps et argent. Ce n'est pas si facile que l'on pense, car souvent les concepts sont opposés, mais à moins de gens irascibles, avec lesquels il est bon, alors d'affirmer son autorité, on doit toujours rechercher le règlement satisfaisant et logique, qui donne satisfaction à tous, mais d'abord il. L’Armement. En fait, il faut beaucoup causer, et convaincre, quitte à se croire soi-même.

 

Ce qui est vrai pour les Experts l'est aussi pour les dirigeant d'ateliers, notamment au moment des règlements, et 'souvent aussi pour les autorités des ports, qui parfois ont des exigences incompatibles avec nos arrangements de travail. Alors, là, c'est par la persuasion qu'il faut obtenir satisfaction et ne pas c~der tout en restant courtois, car il est toujours possible de trouver un arrangement, à condition, bien entendu, qu'il n'enfreigne pas les règles de la Sécurité. Car, je pense que sur ce principe, il ne convient pas de transiger.

 

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Passer outre à des choses bénignes : oui, mais pour ce qui règle la sécurité du navire, s'arranger pour trouver la formule qui règlera la question, sans toutefois gêner le Commercial, car 11 faut toujours avoir présent à la mémoire que le but de l'Exploitation est le transport de marchandises le plus rapidement possible.

 

Je ne vous rappelle pas les règles que vous connaissez déjà, concernant le navire : Reclassification tous les 4 ans; confirmation de cote chaque année en date, visite des arbres porte hélice tous les 18 mois, quand la chemise est en plusieurs parties, et tous les 3 ans quand la chemise est continue. Franc-bord, chaque année et renouvellement aux reclassifications. A noter que des règlements nouveaux sont applicables impérativement aux apparaux de manutention, aux extincteurs d'incendie et aussi les contrôles de l'eau potable par la Marine tous les 6 mois, les dératisations; etc... Et bien entendu les commissions de visite annuelle, pour lesquelles le Véritas délivre un bulletin rose, qui confirme que la cote est toujours maintenue, ce qui tient lieu de garantie à la commission (A noter que ce bulletin est gratuit). Autant que possible, assistez à ces commissions, pour arrêter ou discuter l'ardeur de certains Inspecteurs qui débordent le règlement.

 

En principe, vous ne devez appeler le VERITAS, entre les visites annuelles, que si une avarie importante s'est produite, et met la sécurité en cause. Vous demandez alors un constat et un visa des certificats. Pour .tout autre incident, ce n'est pas nécessaire, car n'oubliez pas que les vacations se payent.

 

Cependant, s'il s'agit de visites d'entretien à valoir pour la cote, telles les visites périodiques de cylindres ou d'attelages de moteurs, et d'incidents dont l'Armement aurait à prendre la responsabilité vis-à-vis des Assureurs ou de l'Inspecteur de la Navigation, il reste nécessaire de convoquer l'Expert du VERITAS pour couvrir ses responsabilités, tant du point de vue pénal, qu'administratif. Si dans certains cas vous ne voyez pas bien ce qu'il faut faire, consultez sans retard le Service Technique.

 

Si nous entrons plus dans le détail, et par exemple la partie contentieuse, avec laquelle vous serez souvent en présence, prenez d'abord comme base de lire et relire les polices d'assurance de chaque navire; elles varient parfois. De même les chartes-parties des chargements dont vous vous faites expliquer les clauses. Vous y apprendrez beaucoup d'inconnues de votre métier de base. Faites-vous faire des commentaires par notre ami POULAIN, grand maître en ce domaine, et communiquez lui toujours fidèlement les accords et arrangements que vous pouvez faire.

 

Apprenez à apprécier la valeur des risques. Nous les divisons en

 

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1° - Risques majeurs: c'est à dire la perte totale, avec ses clauses de délaissement, les recours de tiers, pour lesquels vous devez connaître bien les règles internationales de navigation, et les avaries grosses ou avaries communes, pour lesquels il doit y avoir à la base un sacrifice avec résultat, et à ce propos, vous ferez bien de connaître aussi quelques éléments de droit maritime, et les Règles d'York et d'Anvers (je vous cite à ce propos le traité de James Paul GOVARE, librairie Challamel).

 

2° - Risques mineurs, avec lesquels on a le plus communément à faire et qui sont: l'échouement, les heurts sur corps fixes et flottants, les abordages, l'incendie et quelquefois les fortunes de mer, mais pour ce dernier risque, attention aux franchises, elles sont fortes, et d'ailleurs la lecture des avenants aux polices vous renseignent sur les clauses, mais ceci est une petite science qui vous viendra,.avec l'expérience, et je vous conseille de toujours consulter notre service, et de ne pas vous engager dans ce sentier avant d'être bien informé, et surtout s'il y a une partie adverse qui, souvent, est plus expérimentée.

 

Quand vous prendrez connaissance d'un rapport de mer, et je vous conseille de toujours vous y intéresser, demandez aussi les journaux de bord, et veillez à ce qu’il y ait des lignes libres aux dates intéressées, afin que le bord puisse apporter, le cas échéant les précisions qu'ils oublient souvent. Demandez aussi, de temps à autres, à vérifier les papiers de classification. Une visite que vous ne soupçonnez pas a pu : être l'objet d'un visa désobligeant et comportant même un délai impératif, dont l'importance échappe parfois au bord. .

 

Dans vos rapports avec le personnel, vous avez à vous informer des qualités des sous-ordres, et aussi à donner des conseils ou des ordres, moins peut-être sur la profession que sur les à-côtés, qui échappent souvent aux Capitaines et Chefs Mécaniciens. En ce qui concerne les Mécaniciens, vous êtes bien placé; faites en profiter les intéressés, et prodiguez vos conseils.

Vérifiez de temps à autre les documents de bord, le cahier des procès-verbaux de visite, et relevez les recommandations qui y sont portées, car elles seront exigées, tôt ou tard; les historiques de machine, qu'on a du mal a faire tenir à jour, et aussi les rapports de voyage; faites en des commentaires directs, et signalez à la Société ce qui vous parait anormal. D'ailleurs faites le plus possible de notes d'inspection; on y retrouve souvent utilement des détails qui ont leur importance, le moment venu.

 

De façon générale, étendez le plus possible vos relations dans tous les domaines, on en a toujours besoin, et de temps à autre, faites un peu de représentation, sous forme de petites invitations cordiales, sans faire de dépenses inconsidérées; ce n’est pas coûteux, et cela crée une aisance dans nos rapports commerciaux ou techniques; vous apprécierez par la suite que cela est nécessaire.

 

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Autre chose encore : quand cela est possible, faites de petits bouts de voyage, descente ou montée de rivière, etc... et vous apprendrez beaucoup de choses, que le bord ne peut pas, ou ne veut pas vous montrer ou vous faire connaître, et cela est de nature à asseoir votre autorité.

 

Je reviens un peu sur le chapitre de l'appréciation des travaux. Habituez-vous à connaître les prix qui se pratiquent, tant en divers endroits de la France qu'à l'étranger, au moins pour les choses principales, par exemple le remplacement de tube, de foyers, de tuyauteries fer et cuivre en sections et au mètre, les prix d'ancres. et chaînes à l'unité ou au Kilo, les prix des tôles et fers au Kilo ou au minutage ; grosso modo sachez que la tôle cote 8 Kgs. par millimètre, et par mètre; quant aux fers et cornières, il existe des barèmes faciles; le prix des bois, qui varient beaucoup selon l'essence et en général la plupart des éléments de réparation. Ayez sur vous un petit barème de poche personnel.

 

S'il s'agit de réparations, ou avaries de coque, approfondissez ce métier de chaudronnier, et renseignez-vous souvent sur les diverses méthodes de travail, car selon qu'un travail est plus ou moins bien engagé, il demandera plus ou moins de temps, et cela souvent avec dock ou cale sèche; donc là encore, notion du temps et de l'argent.

 

Quand il s'agit d'avaries et que vous avez demandé au Commissaire d’avaries la nomination d’un Expert (le vôtre si possible), après lui avoir nécessairement communiqué les documents (naturellement avec accord Paris), attachez-vous à faire avec cet expert, et aussi vite que possible, un pro-forma spécification et situez alors les emplacements de l'avarie, afin, que tout le monde s' y retrouve. Doivent assistez à cela : les contremaîtres d'exécution et aussi les Ingénieurs de travaux, ainsi bien entendu que le BUREAU VERITAS. Procédez de la façon suivante, car, autant que possible, c'est vous qui devez garder l’initiative :

 

- On note par les hauts, en commençant par, le carreau et les virures sous carreau numérotées jusqu'au bouchain; pour les bas, par la quille et les virures jusqu'au bouchain, mais en lettres Le numérotage des tôles se fait à partir de l'AV jusqu'au milieu du navire, et de l'AR jusqu'au milieu du navire, à compter du couronnement. Pour les varangues, vous le savez, il y a les pleines et les cadres, et elles se décomptent par le numéro des couples; de même les membrures, qui parfois se décomptent par cales. Pour les cloisons, celles qui sectionnent les compartiments sont rigoureusement étanches, mais il en existe d'autres, des intermédiaires, dont l'étanchéité n'est pas requise. Quant aux ponts et entreponts, ainsi que structures, je vous recommande de potasser un peu les manuels d'architecture navale) et de vous initier, par la même occasion, aux règles de jauge et de détermination des francs-bords.

 

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D'autre part, quand vous aurez à travailler sur des coques ou structures à la suite d'avaries, ou autres, reconstituez toujours les épaisseurs, et comparez les affaiblissements. Les Experts des Assureurs sont généralement souples sous ce rapport, mais n'acceptez jamais de parties affaiblies ou mal rebat1es, surtout dans les parties basses. Les navires ne sont jamais trop forts, mais notez qu'en soudure vous pouvez très bien accepter des coupes, sans tenir compte des décroisements; c'est maintenant très courant :

on remplace la partie avariée seulement, mais dans ce cas demandez de préférence le remplacement au lieu du redressement en atelier. Toutefois, à moins de cas exceptionnels, n'acceptez pas les coupes pour les carreaux et les bouchains, qui doivent, étant des pièces maîtresses, garder leur forme, leur résistance et leur rigidité première.

 

Notez aussi la petite sténographie professionnelle des contremaîtres et experts :

 

- redresser sur place

- redresser en atelier

- remplacer

 

qui vous permet de noter vite et sur place le travail à faire. C'est d'ailleurs internationalement reconnu.

 

Faites toujours un schéma représentant le travail à exécuter

 

Notez aussi les usages suivants. Lors d'une réparation ou reclassification, qui comportai des épreuves de ballasts, demander le plus vite possible le passage sur le dock ou en cale sèche; vous en profiterez pour mettre les ballasts en charge et en faire les épreuves hydrauliques, ce qui vous révèlera ~ les fuites intérieures ou extérieures, s'il y en &. En outre, vous serez vite informé de l'état de la coque, du gouvernail et de l'hélice, et pourrez ainsi agir immédiatement s'il y a quelque chose d'anormal.

De plus la vidange de vos ballasts par nables permet le dévasage et le nettoyage intérieur plus facile, d'où gain de temps et d'argent. Notez toutefois que vous devez, avant la sortie, équilibrer équitablement le navire, en accord avec le manutentionnaire du dock a de la cale sèche, et veiller par votre contrôle initial, à ce qu'on ne vous facture pas de tains soi-disant détériorés par le navire, car ces gens font payer généralement leur entretien par les bateaux, auxquels on reproche toujours après, des démolitions fictives.

Ces précautions évitent des discussions.

 

A noter qu'il y a aussi grand intérêt à limiter les temps de séjour au dock ou en cale sèche, par le moyen de travaux en heures supplémentaires; c'est toujours un avantage, tant pour l'Armateur que pour l'Assureur, s'il est en cause, car non seulement l'occupation coûte cher, mais encore plus, toute la "sauce" des locations de matériel.

 

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Il est évident que le métier comporte bien plus d’aléas, qui se renouvellent à l'infini, et on ne peut tout décrire. L'expérience vous les montrera, et vous aidera à les résoudre, car il est des problèmes nouveaux qui ressortent des temps nouveaux, mais ils reviennent bien souvent aux principes du métier, et je vous le renouvelle encore, vous ferez beaucoup par vous-mêmes, mais plus encore par les bonnes relations que vous vous efforcerez d'entretenir avec tous ceux qui, de loin ou de près, touchent le navire, et c'est je crois le point très important à cultiver pour l'exercice satisfaisant de vos obligations, et le rendement qui doit s'ensuivre. .

 

FEVRIER 1960

 

A. QUIBEUF

 

P.s. - Ces notes ne doivent être considérées qu'en raison de l'expérience d'un ancien qui, sans aucune prétention, désire en faire profiter ses jeunes Collègues, et les complétera par un enseignement par l'aspect, afin de leur faciliter l'exercice satisfaisant de leur tâche, pour le bien de notre Société.

Remonter ] [ La pratique du métier d'armement - 1960 ] Attibutions de l'Ingénieur d'Armement - 1983 ] Protocole accord entreprise - 1971 ] Protocole accord entreprise - 1986 ] Protocole accord entreprise - 1993 ]

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