Souvenirs du Cdt BLANC-VIAL

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De J. BLANC-VIAL, Commandant,

UN VOYAGE DE L' "ATLAS" : MARSEILLE GABES

Après avoir fait, à Marseille, un chargement rendu pénible par le fort mistral et les treuillistes de l'acconage trop réticents à suivre les ordres du bord, l'équipage a embarqué les deux colis restant à quai et terminé le saisissage à 22 h 15.

Nous sommes arrivés devant Gabès le dimanche 22 avril à 13 heures, par assez beau temps. A 17 h 30, nous étions accostés au quai de l'usine de produits chimiques de Gabès industriel, qui est pour le moment le seul quai praticable du port.

Tout de suite, une assez forte levée nous inquiétait, étant donné le temps actuel. Le lendemain matin le déchargement commençait avec une équipe de dockers en cale 1 pour les petits colis, et le bord à la conduite des bigues.

Etant exposé au ressac dans ce fond de darse il fut déjà difficile de décharger le tracteur et ses deux remorques, mais les risques d'avaries étaient trop grands pour poser les gros colis. Cependant, une bonne brise se levant de terre (secteur ouest) laissait penser que cela tasserait la houle venant du large.

Ce port industriel comprenant un seul grand bassin ouvre curieusement les bras, par ses jetées Nord et Sud, aux vents d'est souvent forts dans ces parages et en cette saison. Les navires ne peuvent alors tenir à quai que grâce à une guirlande de grosses et excellentes défenses. Le terre plein assez étroit, non revêtu, et encore en partie encombré par des travaux, se trouvait recouvert de poudre de soufre mélangé à un sable très fin.

Nous commencions à voir entrer à bord ces deux indésirables, qui s'infiltraient partout. Le vent fraîchit rapidement à partir de 10 heures, et nous envoya une véritable tempête de sable et soufre mélangés. Les hommes se protégeaient comme ils pouvaient, avec des mouchoirs et les lunettes que nous avions distribuées.

Le bateau jouait toujours et sous une forte rafale, l'amarre en double que nous avions en traversier à l'avant cassa, faisant également se rompre la garde. Sous l'élasticité des autres amarres le navire se retrouva à cinq mètres du quai. Je fus alors obligé d'appeler tous les gens du bord, pour parvenir, après plus d'une heure d'efforts, et avec l'aide de tous les treuils et tous les bras, à réaccoster le navire entre chaque rafales.

Ce temps très pénible dura pratiquement toute la journée, mais eut tout de même l'avantage, en ayant fait tomber la houle, de nous permettre de débarquer, sans trop de risques, malgré le dangereux balancement, le transformateur que nous avons dû poser à quai, puis la turbine de 77 T. qui a pris place sans dégât sur les remorques (d'après Herpin et Cie, elle vaut environ 7800000 F).

Je passe sur les difficultés de l'attelage pour quitter le quai parmi les trous. Ceci nous obligea à reprendre le transformateur à la bigue, pour permettre aux remorques de passer dessous.

Une heure plus tard, voyant le convoi toujours arrêté à un kilomètre sur la route, je me faisais conduire en voiture, et j'appris ainsi que le vent ayant formé des congères de sable, il fallait aller chercher des tôles pour permettre le passage du tracteur. A la vitesse où vont les choses ici, autant dire que la remorque était là pour la nuit; pourtant un côté du terrain me sembla un peu plus dur.

Je pris l'air le plus convaincu possible pour dire au chauffeur: "Si vous arrivez à prendre beaucoup de tours, en serrant le côté gauche, en gardant la même vitesse, cela doit passer. Si on passe on va jusqu'à l'usine, et pendant que vous posez le colis je vais mettre le champagne au frais."

Que ce soit pour le champagne ou pour moi, car il voyait que j'essayais de libérer le navire; ainsi fut fait, et à 18 h 30, ils étaient à nouveau le long du bord. Avant 20 heures, malgré quelques émotions, l'alternateur était à son tour sur le trailer.

On pouvait aller à la douche et se dessécher la gorge. Tout serait à terre demain, même si le coup de vent d'est que nous promettait le pilote arrivait finalement. Le mauvais temps s'en alla presqu'aussi vite qu'il était venu, et à 23 heures, la lune se levait sur la palmeraie, dans la quiétude de ces nuits du Sud, qui semblent commandées pour les touristes du Chem ou de l'Oasis, les grands hôtels de la plage de Gabès.

Le lendemain il y eut encore un peu de contre-temps, quand après avoir levé le transformateur on s'aperçut que les bonnes traverses étaient restées à l'usine. Il fallut donc le reposer et attendre plus d'une heure et demie qu'un camion veuille bien les amener.

Toutes les dix minutes, le vieux pilote, tout déconfit de n'avoir pas encore son coup de vent, me demandait quand on partait: "parce que vous comprenez, j'ai le directeur de l'usine sur le dos, vous lui avez dit qu'à dix heures au plus tard tout serait fini, le "Gabès" est prioritaire, et il est sur rade depuis cette nuit, mais je ne veux pas arrêter votre déchargement si vous me dites que dans trois quarts d'heure on aura dégagé le quai."

Il fallut emmener l'officier des douanes et les deux préposés visiter le bord, et discuter longuement devant le tableau de Francolin et un verre de gazouze, pendant que les matelots aux yeux rougis déchargeaient sur le quai les gaines de la cale II. Tout cela parce que les camions n'arrivaient jamais, que la douane interdisait le stationnement à quai et que par conséquent les dockers ne voulaient rien toucher.

Enfin vers 12 h 30, au dernier colis, on largua nos sept amarres devant et derrière, et on croisa bientôt le "Gabès" qui nous faisait de grands signes d'amitiés.

Il faut dire qu'il est sorti du même chantier, quelques mois seulement avant nous. C'est une chance d'ailleurs que ce soit lui l'aîné, car il semble qu'il y a eu quelques progrès dans l'automation entre les deux. Lui a déjà fait plusieurs mauvaises rencontres avec les quais, dont celui tout neuf de Gabès qu'il a démoli sur deux bons mètres de profondeur; nous, nous avons encore seulement failli le faire.

Je vous ai décrit ce voyage, pour vous rappeler que les chargements les moins importants ne sont pas toujours les plus faciles. Ce qui doit compter n'est pas le tonnage manipulé, mais le temps effectif employé, la bonne volonté et les efforts de ceux qui acceptent, dans des conditions quelquefois pénibles, d'être mis un peu à toutes les tâches.

C'est la particularité de ce travail de gros colis, où la formation d'une équipe compétente et efficace, est si importante pour la réputation et le bon rendement du navire.

Commandant J. BLANC-VIAL

"Atlas" voyage n° 10.

Source : b-70_10-1973

UNE TOUTE PETITE CRIQUE

Entre deux voyages de gros colis, nous avons chargé à Gijon 3266 tonnes de fers à béton, au cours d'une laborieuse navigation dans un port très encombré.

Destination Londres ou plus exactement Bow Creek, à l'entrée de la rivière Lea. On nous avait dit: "C'est un petit appontement perdu mais tranquille avec des cygnes pour vous tenir compagnie". C'était, en fait, un tout petit trou, not always afloat, car à basse mer les cygnes se promenaient sur la vase le long du navire.

Le réceptionnaire avait d'ailleurs pris la précaution de nous confirmer par télex que notre draft maxi devait se limiter à vingt pieds six, fresh water. Ce n'était pas une clause de style, car lorsque nous dûmes nous résigner à aller à quai le dimanche soir, il n'y avait plus tout à fait assez d'eau à la pleine mer, et il fallut brutaliser le bateau pour qu'il consente à se glisser jusqu'au berth final. Pourtant la hauteur d'eau à pleine mer était encore de six mètres dix.

Nous avions auparavant cherché toutes les solutions et j'avais fait la mauvaise tête toute une matinée, refusant de quitter la Tamise. Pour me convaincre ou me rassurer, l'agent avait sorti du Lloyd le nom de deux bateaux de 3000 tonnes qui avaient déjà accosté à Bow Creek; cela eut plutôt l'effet contraire car c'étaient des Grecs de vingt ans d'âge, et les habitués du coin faisaient tout au plus 1 000 à 1 200 tonnes.

En fin de compte, "le petit dernier", qui paraissait tout de même un bon gros, encore plus ventru que d'habitude, est allé sagement se poser sur une vase que nous souhaitons very soft.

Les Anglais et les grues du quai n'en avaient jamais tant vu ; celles-ci, malgré tous leurs efforts, n'arrivèrent qu'au milieu de la coursive, et il fallut leur amener les fers à mi-chemin par les moyens du bord. Quant aux premiers, ils nous présentèrent un visage inhabituel de gens étonnés et curieux.

Durant quatre jours, nous eûmes ainsi le spectacle insolite de l' "Atlas" planté bien droit dans la vase, avec tout de même un peu d'eau qui lui arrivait presque à ses quilles à roulis: 1 m 20 devant. 1 m 40 derrière.

Afin que vous ne croyiez pas qu'on vous raconte une histoire marseillaise, nous avons pris quelques photos qui nous ferons quand même un bon souvenir, car pour le moment tout au moins, il y a eu plus de peur que de mal.

Commandant J. BLANC-VIAL

Source : b-67_01-1973

 

Sources : Archives et publications UIM. b-70_10-1973

02/01/2011

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