Union Française Maritime - remorquage

 remonter

 "IROISE" sauvetage "Hélène" et "Galdames"

Rapport de mer du Capitaine L. MALBERT, commandant du remorqueur " IROISE ".

s/s " HELENE " et " GALDAMES ", du 5 au 7 décembre 1929.

 

DANS LA TEMPETE: LE REMORQUEUR "IROISE", DU PORT DE Brest, SE PORTE AU SECOURS  DU PAQUEBOT "HELEN" DESEMPARE. APRES UNE LUTTE ACHARNEE, LE FILIN DE REMORQUE S'ETANT ROMPU, L"HELEN"  EST PARTI A LA DERIVE. ( COMPOSITION DE MORITZ). (LE PELERIN HEBDOMADAIRE N° 2752 DU 22 DECEMBRE1929).

 

Je soussigné, Louis MALBERT, capitaine au long cours, commandant le remorqueur d'assistance "Iroise", d'une force de 1550 Cv, en station d'assistance à Brest, Déclare que le 5 décembre 1929, j'ai intercepté à 7 h. 54 un radio du vapeur anglais G L G S (indicatif d'appel) informant que le vapeur danois "Hélène" se trouvait complètement désemparé de sa machine, par une latitude de 46°44' N et une longitude de 6°50' Ouest. J'offris mes services à ce vapeur danois par l'intermédiaire du navire anglais qui se trouvait auprès de lui. Le vapeur "Hélène" accepta mes services. J'appareillais à 8 h. 30 pour me rendre à la position indiquée.

La tempête soufflait avec violence, vents de la partie 5.-5.-0.; mer énorme.

Passé la Parquette à 10 h. 10. Mer et vent debout m'obligeant à diminuer de vitesse, les paquets de mer embarquant sur le pont me faisait craindre des avaries sérieuses, en raison notamment de forts emballements à la machine.

A 10 h. 45, par le travers des Pierres-Noires. Fait route toute la journée sur la position indiquée. La tempête augmente d'intensité, et de fortes lames s'abattent sur le pont de l' "Iroise", dont une soulève l'embarcation de Tb.

Le 6 décembre, vers 3 heures du matin, les grains deviennent un peu moins violents, mais la mer reste toujours énorme.

A 5 heures aperçu les feux des deux navires, et échangé de nombreux radios avec le vapeur anglais qui les transmettait par signaux Scott à l' "Hélène".

A 6 heures nous arrivons sur les lieux. Le temps étant très noir, et vu l'état de la mer, l' "Hélène" semblant avoir une forte bande à Td, d'accord avec le capitaine de ce navire, nous attendons le jour pour passer la remorque, et nous profitons de ce délai pour prendre toutes dispositions utiles afin de faciliter cette opération.

A 7 h. 25, la remorque fut passée au moyen de fusée et l' "Hélène" n'ayant plus de pression, notre remorque fut hissée à bras par tout l'équipage de l' "Hélène" qui malgré sa fatigue fit preuve du plus grand courage, malgré les forts coups de roulis, la remorque fut maillée sur la chaîne de l' "Hélène".

A 9 heures il fut décidé d'un commun accord de faire route sur Brest.

Le vent qui avait diminué de violence depuis trois heures, recommence à souffler avec une nouvelle force, pendant que les sémaphores de Land's End et Ouessant, signalaient aux navires un nouvel ouragan du S.-O. se déplaçant très rapidement vers le N.-E.

Nous apercevons dans la matinée l'équipage de l' "Hélène", qui malgré les nombreux paquets de mer déferlant sur celui-ci, essayait de jeter à la mer une partie de la pontée pour redresser leur navire.

A midi un grain violent précurseur de l'ouragan, oblige l'équipe de l' "Hélène" à quitter de travail. La mer de plus en plus démontée. Nous fuyons tous deux devant la tempête. Nous ne nous apercevons qu'entre les grains: le baromètre est descendu à 745. Vers 23 heures un grain dépassant en violence tous les précédents s'abat sur nous. Nous diminuons de vitesse le plus possible, n'en gardant que juste assez pour pouvoir gouverner. La violence du vent est telle que nous filons 8 nœuds devant la tempête (baromètre 740).

Il était impossible de prendre la cape ne pouvant rester en travers à la lame avec l' "Hélène" qui eut été complètement submergée.

A cette même heure, et après avoir aperçu l' "Hélène" qui avait disparu à nos yeux pendant les grains, nous apercevons les signaux au Scott de ce vapeur, que nous interprétons ainsi:

- "Impossible de tenir ainsi très longtemps. Pouvez-vous nous conduire dans une baie voisine" A ce moment, nous nous trouvions à environ 22 milles dans le S.-O. d'Armen, et nous ne pouvions songer qu'à aller à Brest le plus tôt possible, aucune baie sûre et praticable ne se trouvant dans ces parages.

Tout l'équipage des deux navires était en veille sur les passerelles.

Le 7 décembre, à 0 h. 40, nous apercevons les feux d'Armen au Nord 78 Est. Nous faisons route avec les plus grandes difficultés pour rentrer dans l'Iroise. Je mis le cap dans le milieu de l'Iroise et essayais de me mettre dans l'alignement des feux d'entrée. , Les grains tout en étant aussi violents deviennent plus espacés.

A 2 h. 30, un nouveau grain s'abat sur nous, et à 2 h. 40 nous ressentons un choc sur l'arrière, et nous n'apercevons plus l' "Hélène".

Nous nous rendons compte que la remorque a dû casser. Nous apercevons aussitôt des fusées lancées par l' "Hélène". Notre manœuvre devient à ce moment impossible et périlleuse, en raison de la proximité des rochers sur lesquels nous dérivons. En venant en travers à la lame pour me diriger sur l' "Hélène", la remorque s'engage dans l'hélice de l' "Iroise", et immobilise sa machine pendant environ une demi-heure. A ce moment, je me trouvais à environ 10 milles dans le N. N. W. d'Armen. Obligé de sacrifier la remorque en la déclenchant de son croc d'échappement.

Pendant ce temps, le chef-mécanicien faisait marcher sa machine en avant et en arrière pour tâcher de dégager l'hélice.

Par un grand hasard, nous pûmes nous dégager et nous porter vers l' "Hélène". Nous lui faisons des signaux au Scott pour lui dire que malgré l'ouragan, nous disposons une nouvelle remorque et que nous ferons l'impossible pour la lui passer.

L' "Iroise" essaie de se tenir debout à la mer pour permettre cette manœuvre que nous réussissons malgré les plus grandes difficultés. les hommes étant balayés par la mer. Le maître d'équipage de l' "Iroise" est emporté par une lame et projeté violemment sur les arceaux de remorque. Il est sérieusement blessé à la poitrine et doit interrompre son travail.

Pendant ce temps, nous dérivons, l' "Hélène" et nous sur Armen.

A 7 h. 30, à 2 milles du phare d'Armen nous approchons le plus près possible de l' "Hélène" qui ballotté par les lames était le jouet des flots;

L'équipage avait fait un feu sur le pont de l' "Hélène" pour attirer l'attention des canots de sauvetage de terre qui se trouvaient à proximité.

L'équipage de l' "Hélène" se trouvait sous le vent du roof, et paraissait complètement épuisé de fatigue.

Nous manœuvrons pour approcher le plus près possible du navire, et nous nous apercevons que la chaîne de l' "Hélène" frappe le long du bord et s'était rompue à environ 6 à 8 mètres de l'écubier, ce qui avait été la cause des incidents relatés ci-dessus.

A deux reprises, nous leur lançons la remorque qu'ils parviennent à saisir, mais qu'ils ne peuvent déhaler à bord.

Vers 8 h. 15, nous voyons tout à coup, plusieurs hommes de l' "Hélène" qui se sont rendus compte que le navire allait être jeté sur les rochers, et que leur mort était certaine, se jeter à la mer, et essayer de gagner l '"Iroise" qui se trouvait à environ 50 mètres du navire. Cinq hommes essaient de se sauver de cette façon, et pendant une heure, maintenus par leurs ceintures de sauvetage, font des efforts désespérés pour s'approcher de l' "Iroise".

Nous manœuvrons en conséquence parmi les brisants et la mer démontée.

L'équipage de l' "Iroise" (pont. machine et opérateur de T. S. F.), sous les ordres du capitaine en second NICOLAS, au moyen de bouées, lignes, objets flottants, etc., parvient à ramener quatre hommes à bord, au prix des pires difficultés. Tous les hommes sauvés sont exténués, plusieurs sont blessés, et d'autres évanouis. Un homme de l' "Hélène" disparaît assommé par une lame. Nous avons appris depuis, que c'était le maître d'équipage.

Des soins sont immédiatement donnés aux rescapés.

Pendant ce temps, le capitaine et les neuf hommes restés à bord étaient parvenus au prix de mille difficultés à mettre une de leurs embarcations à la mer et à y prendre place. Nous réussissons à jeter des bouts de filin à l'embarcation.

A plusieurs reprises, après avoir pris à notre bord, au moyen des filins les hommes par un ou deux, nous parvenons à les sauver tous les dix. Le capitaine de l' "Hélène" a un doigt arraché. Nous nous éloignons des brisants.

Impossible de songer, en effet désormais à sauver le navire qui une demi heure plus tard était projeté sur les récifs.

L'état-major et l'équipage de l' "Iroise", sans aucune exception ont fait preuve au cours de ce sinistre, malgré leur état de fatigue, du plus grand sang-froid et d'un dévouement absolu.

Le sauvetage de l'équipage de l' "Hélène" étant terminé, vers 9 h. 30 nous nous dirigeons sur Brest.

Mais vers 9 heures les opérateurs de l' "Iroise" avaient reçu un S. O. S. du vapeur  "Galdames" de Bilbao, demandant assistance immédiate au large d'Ouesssant.

A 10 heures nouvel S. O. S. du "Galdames".

En raison de la présence à bord de l' "Iroise" des naufragés de l' "Hélène" dont plusieurs étaient blessés, j'expliquais la situation au capitaine de ce vapeur. D'un commun accord, étant donné les appels réitérés du "Galdames" il est décidé de faire route sur lui, et nous avertissons immédiatement le "Galdames" de notre arrivée prochaine.

Nous faisons donc route sur ce vapeur dont la première position indiquée est erronée.

Suivant l'avis du phare du Creach qui nous donne une nouvelle position à 13 milles dans l'Ouest de ce point, nous changeons notre route et forçons de vitesse.

Par le travers du phare de la Jument, sur les hauts-fonds de Ouessant, la mer est furieuse. L' "Iroise" en travers à la lame, reçoit de nombreux paquets de mer, dont plusieurs d'entre eux, lui causant des avaries sérieuses.

La passerelle inférieure est en partie emportée, l'échelle communiquant à la partie supérieure est enlevée, les rembardes sont brisées, des hublots sont cassés, le capot du canot enlevé, etc.

Sur mon ordre, l'équipage se réfugie dans les logements pendant ce passage difficile.

Obligé de diminuer l'allure de la machine pour éviter les accidents plus graves.

A 13 h. 30, nous sommes en dehors de ces hauts fonds, et forçons de vitesse sur le "Galdames".

Le "Galdames" multiplie ses appels de détresse et nous demande notre position.

A 14 heures, aperçu le vapeur espagnol "Galdames" qui n'est pas maître de sa manœuvre.

Nous lui demandons par radio de stopper sa machine afin de pouvoir lui passer la remorque avec quelque chance de succès.

Après avoir passé la ligne par fusil porte-amarre, le "Galdames" peut embarquer notre remorque.

Nous restons à environ 20 à 25 mètres de lui malgré le danger que présente cette situation.

Mais en raison de la tempête et du roulis que le "Galdames" subit, étant en travers à la lame, l'opération de maillage de la chaîne de ce vapeur sur notre remorque lui demande une heure d'efforts.

Pendant ce temps, malgré nos manœuvres réitérées pour nous tenir en bonne position, nous sommes rejetés sous le vent du navire et la remorque passe sous l' "Iroise".

Afin de nous redresser, et de pouvoir dégager la remorque très tendue qui se trouve prise dans l'hélice, nous faisons machine en avant, et sur l'ordre du capitaine du "Galdames", nous nous disposons à le remorquer.

Nous prenons toutes précautions nécessaires pour cette opération, et pour faire prendre au "Galdames" la route de Brest.

En mettant en route sous un effort violent de la mer, le "Galdames" fait une embardée terrible et son maillon reliant sa chaîne à notre remorque se brise.

Le capitaine du "Galdames" me demande de renouveler cette opération.

Mais la nuit s'approchant, dans la nécessité où je me trouve de rentrer la remorque, et en raison de la violence de la tempête, je lui offre l'assistance d'un second remorqueur de la Compagnie. Le capitaine du "Galdames", après réflexion me prévient que si je puis le convoyer, il essaiera à vitesse réduite de gagner Brest, ne pouvant rester en mer, et se trouvant dans l'impossibilité absolue de regagner Brest par ses propres moyens.

Il me demande en conséquence de régler l'allure de l' "Iroise" afin de se tenir le plus près possible.

Je manœuvrais en conséquence.

A 17 h. 35, par le travers des Pierres-Noires, ma barre se trouve bloquée par une avarie au servo-moteur.

Le "Galdames" se trouvant à 250 mètres derrière moi, je forçais de vitesse et par sifflets, je lui fis signe de venir sur babord.

Par T. S. F. je l'avertis de cet accident, et je lui dis de continuer sa route lui donnant la direction à suivre pour regagner Brest pendant que je cherchais à réparer mon avarie.

Le capitaine du "Galdames" resta auprès de moi, plutôt que de risquer d'aller sur les rochers et de s'engager dans l'entrée de Brest, qu'il ne connaissait vraisemblablement pas, n'ayant ni cartes, ni instructions. Il est certain qu'étant donné l'état de la mer, et la nuit, le "Galdames" courait les risques les plus sérieux.

Voyant que le baromètre baissait à nouveau, je gouvernais au moyen de la barre à bras afin de ne pas rester dans les courants de l'Iroise, et de nous entraîner le "Galdames" et moi vers les Pierres-Noires.

Nous marchions prudemment, et à allure très réduite pendant que les mécaniciens recherchaient l'avarie au servo-moteur qui fut réparée une demi heure après.

Je fis savoir aussitôt au "Galdames", et nous reprîmes notre route sur Brest.

La nuit étant très noire, la mer toujours extrêmement forte et le "Galdames" gouvernant difficilement j'avisais le capitaine de me suivre le plus près possible et de gouverner sur mes feux arrières.

Je réglais mon allure sur la sienne et gouvernant au sifflet, le "Galdames" réussit à franchir ainsi le goulet derrière moi, en se tenant à environ 150 mètres.

Je réussis après bien des difficultés à le conduire en rade en lieu sûr, lui donnant ordre de mouiller dans un endroit désigné à un signal donné.

Mouillé le navire en rade à 21 h. 30.

Amarré à quai à 21 h. 40 ou je débarquai l'équipage de l' "Hélène", et faisais prévenir un docteur. Je repris à nouveau mon poste d'assistance.

Je fais toutes réserves au sujet des avaries que nous avons subies et que nous pourrions découvrir après constatations faites par les experts et après démontage des pièces qui ont le plus souffert.

Je déclare ce présent rapport conforme et véridique et me réserve le droit de l'amplifier si besoin est.

Fait à Brest, le 13 décembre 1929.

Le Capitaine, L. MALBERT.

b-53/05

Révision 2011-02-08

 

© UIM.marine - Site mis à jour le 03/06/2012   retour index  plan du site  plan archives

Si vous possédez des informations, des documents ou photographies inédites concernant un navire ou un dossier

et que vous acceptiez  de les partager en les publiant sur ce site, merci de prendre contact. uim.marine(at)free.fr

Venez partager vos connaissances sur cette compagnie ou vos souvenirs de navigants sur le forum UIM.