Union Industrielle et Maritime

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AMANDINE" à YEMBO ou L'AVENTURE SAOUDIENNE

L'Amandine avait appareillé de Dunkerque le 5 février, chargé de 2625 tubes de 48 pouces (1,22 m) de diamètre, par 40 pieds de long (12,20 m).

Ce chargement comportait des pontées assez laborieusement, mais, finalement, convenablement construites, au droit de chaque cale, sur toute la largeur du navire, et sur 6 plans au-dessus du pont.

Fort heureusement, contre toute attente en cette saison, et durant cet hiver particulièrement dur, le mauvais temps ne se manifesta pas.

Presque rendu au terme de son voyage, l'Amandine n'était pas, pour autant, au bout de ses peines; une avarie suivie d'un enchaînement malheureux de circonstances devait prolonger son séjour en Arabie Saoudite, à tel point que le capitaine d'armement commençait à étudier sérieusement, le pauvre, le problème d'éventuelles relèves (il ne savait pas encore que, s'il est relativement facile d'entrer dans ce pays, il est beaucoup plus malaisé de le quitter, le signataire de ces lignes l'ayant appris à ses dépens).

En fin d'après-midi, le 17 février, le service technique fut informé, par téléphone, d'une grave avarie survenue à la turbosoufflante du moteur de propulsion. Depuis l'aube, le navire avait croisé à faible vitesse au large de Yembo, attendant que le pilote embarque pour aller accoster au poste récemment construit à quelque 35 kilomètres au sud de ce port, en vue de recevoir pipelines et équipements divers nécessaires à l'installation prochaine d'une raffinerie en ce point.

Vers 12 h 30, au cours de diverses manœuvres, un fort choc avait eu lieu, suivi du bruit caractéristique indiquant un « pompage » de la soufflante, mais, apparemment, cela n'avait pas eu d'autre conséquence.

A 14 heures, le vent se maintenant trop fort, l'accostage fut remis au lendemain et l'Amandine repartit à nouveau, à vitesse réduite, vers le large. Vers 18 heures, et sans qu'aucune modification de l'allure du moteur n'intervienne, une très violente explosion se fit entendre dans tout le navire, tandis qu'une épaisse fumée s'échappait de la cheminée.

Après stoppage immédiat et reprise des commandes à la machine, il apparaissait que le moteur ne pouvait plus être poussé au-delà de 75 tours/minute sans entraîner des vibrations dangereuses de la soufflante.

Le navire poursuivit vers le large pour s'écarter de la côte, bordée de récifs coraliens et, au milieu de la nuit, le chef mécanicien fit procéder au démontage de la soufflante dont toutes les ailettes motrices apparurent sectionnées au niveau du fil qui les relie normalement entre elles pour renforcer leur tenue et les empêcher de vibrer. En l'absence de rotor de rechange, il fallait se contenter de remonter celui-ci, mais avec des paliers neufs, ce qui permit tout de même d'atteindre sans vibrer la vitesse de 100 tours. Ainsi, à 13 heures, le samedi, le navire accostait, pendant que le chef mécanicien, usant « légalement » une dernière fois du téléphone, pouvait nous décrire les dégâts.

Le même jour, nous avisions par télex les chantiers japonais, responsables de la garantie, des grandes lignes de cette avaries, en leur demandant de nous indiquer les conditions dans lesquelles ils pourraient nous livrer les pièces de rechange nécessaires ; la réponse des chantiers nous parvint dans la matinée du lundi 20. Ils pouvaient disposer des pièces le 6 mars, chez le constructeur, et estimaient avoir besoin d'une semaine supplémentaire pour les acheminer à Yembo. Ils ajoutaient qu'ils nous laissaient libres de nous fournir en Europe si nous pouvions y bénéficier d'un meilleur délai.

Les recherches entreprises auprès des principaux distributeurs européens de BBC aboutirent, l'après-midi, à une offre de livraison par l'usine BBC de Baden (Suisse) pour le 27 février. Finalement, après examen serré de la situation entre BBC et ses représentants en France, le délai put être ramené au 23, avec transport par route de Suisse à Paris, en vue d'une expédition par cargo le 24 dans la soirée.

En raison des chutes de neige abondantes et du froid des jours précédents, nous craignions que le transport routier soit aléatoire et nous fîmes étudier la solution avion de Zurich à Paris. Nous avions obtenu la réservation pour ces colis (pesant une tonne) quand notre transitaire nous avisa que l'avion venant de Suisse atterrissait à Orly tandis que celui de Saudi Airlines partait de Roissy, ce qui nécessitait de 2 à 4 (et oui, quatre!) jours pour effectuer le transfert et les formalités de douanes.

Nous revînmes aussitôt à la solution routière.

Dans l'intervalle, nous avions pu être informés par l'Agence Kanoo, de Djeddah, des exigences particulières des services saoudiens concernant le dédouanement des pièces et nos transitaires entreprenaient une course contre la montre en se rendant des chambres de commerce, franco-arabes et autres, aux services commerciaux de l'Ambassade d'Arabie Saoudite à Paris, pour obtenir les visas requis sur toutes sortes de documents.

Ainsi, le vendredi 24, après avoir reconnu à Roissy les colis arrivés de Suisse le matin et m'être fait remettre une copie de la L.T.A. (connaissement) concernant leur transport à Djeddah, j'embarquais moi-même assez confiant pour cette ville de félicités que j'espérais bien — billet de retour et réservation en poche — quitter le lundi suivant !

Eh bien, ce lundi, nous étions seulement avertis par le transitaire de Roissy... que les pièces s'y trouvaient encore par la grâce de fonctionnaires des douanes françaises plus pointilleux, semble-t-il, sur l'application rigoureuse de règlements inadaptés à notre cas que soucieux d'efficacité. Flot de paperasses, contrôle méticuleux du matériel, on peut tout imaginer, mais le résultat est certain : les pièces avaient été remises trop tard à l'avion pour y être embarquées.

Qu'à cela ne tienne, il y a deux avions par semaine pour Djeddah et l'autre doit partir dès le lendemain, mardi 28 soir. Cette fois, la marchandise est dans l'avion mais celui-ci fait demi-tour pour se faire réparer.

Il repart 24 heures plus tard, le 1er mars, et nous guettons son arrivée à Djeddah, jeudi vers 3 heures. Hélas, i] a changé son plan de vol et touchera Djeddah en 3e ou 4e escale au lieu de la faire en premier lieu.

Vers midi, un brave bougre de Saudia Airlines nous montre le connaissement original, démontrant ainsi que les pièces sont là, mais c'est tout ce qu'il peut faire car c'est jeudi, l'équivalent là-bas de notre samedi, et il n'y aura plus de douanier avant samedi matin. Le jour suivant paraît interminable, mais le lendemain, samedi, nous osons imaginer qu'avec la grâce d'Allah — et peut-être de certain petit « coup de pouce » très en faveur en Orient _ les pièces pourront être aperçues le dimanche 5.

Mais pendant tout ce temps, que se passait-il à bord de l'Amandine ?

Tout d'abord, son déchargement terminé, il avait dû laisser l'unique place à quai à un autre navire pour prendre un mouillage très proche, mais aussi fort précaire, où l'embarquement et la mise en place des pièces neuves auraient été d'autant plus difficiles à organiser que les moyens de communication sont quasi inexistants dans cet endroit où beaucoup de choses sont interdites : aller à terre et utiliser la radio du navire, entre autres, ce qui a nécessité des acrobaties pour se servir de celle-ci malgré les scellés qui y avaient été apposées. En bref, il était possible de transmettre des messages téléphonés à Paris qui pouvait alors les télexer à Djeddah...

Au bout de trois jours, l'Amandine pouvait reprendre sa place à quai, avec la perspective d'en disposer jusqu'au 6 mars matin, date d'arrivée du navire suivant auquel il devait impérativement la céder.

Deux ingénieurs japonais, las d'attendre à Djeddah, en profitaient pour rejoindre le navire où ils durent prétendre travailler jour et nuit afin d'y justifier leur séjour auprès des gardes-côtes... ils eurent ainsi beaucoup de temps pour prendre quantité de notes et, on s'en doute, photographies sur photographies ; ils purent constater aussi que, pour le whisky, le régime était aussi « sec » qu'à l'hôtel, ce qui paraissait peser un peu à l'un d'eux.

L'équipe machine, qui avait redémonté la soufflante et l'avait étudiée dans ses moindres détails, attendit longtemps l'occasion de faire à ces deux personnes légèrement incrédules, la démonstration qu'ils pouvaient faire aussi bien que les monteurs les mieux entraînés de BBC, à savoir, le remontage de l'appareil en six heures seulement. Cette démonstration fut pourtant terminée dans ces conditions, à deux heures, le 6 mars.

En effet, la veille, vers 14 heures, nous quittions l'aéroport de Djeddah en camionnette, pour franchir à un train d'enfer les 350 km de quasi désert nous séparant de Yembo-Ville que nous atteignions assez tôt n'ayant subi qu'une crevaison en cours de route.

Là, douane et police soulevèrent à qui mieux mieux, toutes sortes de difficultés qui devaient normalement interdire l'embarquement des pièces avant le jour suivant ; grâce au patient savoir-faire de M. Paul Roberts (de l'Agence Kanoo, Djeddah) qui avait décidé de nous aider jusqu'au bout en conduisant lui-même la camionnette, toutes ces objections tombèrent les unes après les autres, comme par enchantement (ô, mystères de l'Orient!).

Retour en arrière de 35 km pour arriver au navire à 19 heures. L'équipage dut prolonger de quelques minutes sa longue attente avant de pouvoir hisser à bord les fameux colis qui embarqueront par la grâce d'un simple douanier, sans qu'aucun document ne lui soit montré (Paul Roberts nous confiera qu'il n'avait pris aucun de ceux qu'on lui avait délivrés à Djeddah, pensant bien que s'il en montrait un seul... il en faudrait d'autres...) Encore un mystère de l'Orient... et une preuve de la remarquable avance que ses douanes possèdent sur la nôtre.

L'Amandine devait avoir quitté le quai à 6 heures, le 6 mars au plus tard, mais, autre grâce, due sans doute à la nonchalance des Autorités, il ne put appareiller qu'à 10 heures; au fond que représentent quelques heures de plus ou de moins, en regard de 12 jours de retard?

Il faut savoir être patient, même en Orient !

Pierre Porcher

Ingénieur d'Armement

b-78/87

Révision 2012-06-03

 

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