Matelots Pillien et Peyrat - Gabriel Guist'Hau

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Paul Peyrat, Jacques-Jean Pillien, Yves Le Carboullec

6 mars 1942, le cargo Gabriel-Guist'Hau accompagné par le Cévennes, le Roubaisien, le Paramé et le Téméraire fait parti du convoi K69 de la flotte de Vichy. Venant de Casablanca et se dirigeant vers Oran, les navires sont escortés par le patrouilleur la Toulonnaise. Arrivé devant Gibraltar, le convoi en croise deux autres, les R 69 et R 67 qui se dirigent d'Oran vers Casablanca escortés par la Sétoise et l'Engageante.

Sur le Gabriel Guist'Hau, ils tentent au passage de Gibraltar de rejoindre le camp britannique. Echouant dans cette tentative Le Caboullec est condamné à 2 ans prison alors que ses deux camarades d'infortune seront fusillés.

Matelot Jacques Pillien, né le 3 février 1925 à Eaubonne, il avait 17 ans quand il a été fusillé à Mers el Kébir le 23 mars 1942. Le corps fut rapatrié à Eaubonne le 11 décembre 1946 et déclaré mort pour la France. (14eme division, 1ere section, 35eme tombe).

Matelot Paul Peyrat, né le 13 avril 1921 à Bordeaux, il est mort à 20 ans.

Matelot Yves Le Carboullec, né le 18 février 1924 Lanmodez (22), décédé le  04 avril 1995

Etats de service Yves Le Carboullec :

1942 GABRIEL GUIST'HAU - embarquement

1943, février, FNFL (engagement), Affectation vedette police maritime - Beyrouth

1944 Changement de corps est versé chez les parachutistes

L'enquête a immédiatement établi que les nommés Paul Peyrat et Jacques-Jean Pillien, matelots à bord du Guist'Hau, avaient tenté de se rendre maîtres du bâtiment pour le livrer aux Anglais. Ils sont condamnés à mort le 13 mars. Le recours en grâce déposé par les avocats sera rejeté par le maréchal Pétain. Ils seront fusillés le 23 mars 1942 à sept heure du matin dans la carrière des tuileries de Roseville à Mers El-Kébir. Yves Le Carboullec convaincu de complicité sera condamné au bagne à Constantine d'où il est libéré le 31 janvier 1943, après le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord.

L'entrée en guerre de l'Afrique du nord conduit la révision du procès. Le 10 février 1944, la cour d'appel d'Alger annule le jugement du tribunal maritime du 13 mars 1943 concernant Paul Peyrat et Jacques-Jean Pillien. La motivation patriotique de leur acte se trouve ainsi reconnu..

Jacques Pillien et Paul Peyrat avaient 17 et 18 ans et voulaient continuer le combat avec les alliés, comme la quasi-totalité des marins du commerce jeunes et célibataires à ce moment. Les marins du commerce qui étaient mariés avec des enfants et avaient leur place stable dans les compagnies préféraient au contraire rester dans la légalité, ne serait-ce que pour "avoir l'œil" sur leur famille...

La légalité du moment, c'était la plus grande partie de la flotte de commerce, restée Vichyste comme la Marine Nationale restée seule invaincue en 1940.

Il y avait "de l'ambiance"... Vouloir rejoindre les Anglais, qui avaient attaqué la flotte en train de démobiliser à Mers El Kébir en tuant 1300 marins le 3 Juillet 1940, ce n'était pas très bien vu par tout le monde.

Le navires des lignes Française de la Côte Occidentale d'Afrique étaient donc obligés de naviguer en convois protégés par la Marine Nationale, pour être sûr que:

- Personne n'essaie d'aller rejoindre les Anglais, au moment de passer Gibraltar par exemple...

- Que les alliés ne puissent pas capturer les navires Français. Car ils ne s'en privèrent pas, à chaque fois que ce fut possible.

Le 6 Mars 1942, le cargo Gabriel Guist'Hau était en convoi sous bonne escorte entre Dakar, Casablanca, Oran et Alger, en train de passer le détroit de Gibraltar. Durant la nuit et au moment le plus favorable, les jeunes Jacques Pillien, Paul Peyrat et Yves Le Carboullec se sont emparés de la passerelle en enfermant le timonier, le matelot de veille, l'officier radio, l'officier de quart et le commandant, après s'être emparé par la ruse des quelques armes du bord, des revolvers.

Alors, (ils avaient étudié les cartes durant des semaines) ils ont soudain mis "en avant toute" et mis le cap vers Gibraltar!

La Sètoise et La Toulonnaise, les escorteurs de la Marine Nationale constatant ce bizarre comportement, ont interrogé le Guist'Hau sans réponse puis ont ordonné:

-"Stoppez ou on vous coule!" Sans réponse.

-"Stoppez ou on vous coule!" Sans réponse. Bis...

Tandis que le traditionnel "navire observateur" Anglais se rapprochait, la Sètoise et la Toulonnaise ont accéléré pour se rapprocher aussi.

Malheureusement le commandant du Guist'Hau (un ultra-Vichyste) réussit à se libérer. Comme il n'avait aucune confiance en "ces petits salopards vicieux de gaullistes et de communistes qui sont partout", il avait planqué une arme dont tout le monde ignorait l'existence...

Je cite le Cdt Callo qui est alors allé libérer les prisonniers (tous les autres dormaient). Il menaça ensuite l'officier mécanicien de quart "en bas" pour faire stopper et mettre "en arrière toute", avec le revolver sur la tempe...

-Exécution, "en arrière toute" !!

Peu après, le Cdt fit des signaux lumineux aux militaires:

-"J'ai les pirates à la passerelle! Tirez dessus!"

Mais la Sètoise et la Toulonnaise s'approchaient trop vite, ils furent surpris par la marche arrière du Guist'Hau.

Collision!

Ensuite la passerelle fut reprise par les armes, le Cdt Callo légèrement blessé, Pillien et Peyrat sautèrent à l'eau pour essayer de rejoindre l'Anglais, qui s'était approché à moins de 60 mètres.

Le désastre fut qu'en position de faiblesse devant les Français, l'Anglais n'osa rien faire et s'éloigna par prudence peu après une seconde collision, cette fois sans casse. Pillien et Peyrat furent donc capturés, comme Yves Le Carboullec. Ce détournement d'amateurs avait échoué. Ils furent emprisonnés à Oran dès que possible.

Au début ils furent traités avec sympathie par des gars dont la majorité approuvaient très secrètement ce qu'ils avaient fait, à commencer d'ailleurs par le Cdt de la Sétoise, qui n'était pas un vichyste très convaincu.

D'autre part ces 3 jeunes gens étaient totalement inconscients de la gravité légale des faits. Ils prenaient ça pour "de la bricole"...

C'est à Mers El Kébir que ça a commencé à très mal tourner car vu de Vichy, ce n'était pas "de la bricole":

INCULPATION de mutinerie, piraterie, détournement de navire, vol d'armes, violence envers l'officier radio, le timonier et le commandant, manœuvre dangereuse ayant provoqué une collision, tentative de remise du navire à l'ennemi et donc, trahison envers la Patrie...

Seul un avocat renommé à Oran osa essayer de les défendre et des gendarmes soupçonnés de vouloir les aider à s'évader* furent remplacés par des "gars sûrs". Tel était le régime de Vichy, personne n'avait confiance...

(*c'était "justifié" d'ailleurs, car ils allaient le faire!)

Comble de malchance, ils sont tombés sur un tribunal militaire spécial, entièrement composé de gars qui venaient directement de Syrie, ceux de l'armée du général Dentz. Pas des marrants ! L'armée vichyste de ce général devenu totalement pro-Allemand, venait de mener de très durs combats contre les Français Libre et les Anglais en Syrie et au Liban.

Ils furent tous les 3 condamnés à être passés par les armes le 23 Mars 1942, soit 17 jours après les faits. A l'époque, ça ne traînait pas!

D'autre part le recours en grâce auprès du Maréchal fut refusé le soir même.

C'est dire qu'ils voulaient "faire un exemple".

Pillien et Peyrat furent donc fusillés par la marine nationale à Mers-El Kébir, dès le lendemain à 06h00.

Yves LeCarboullec eut la chance de ne pas être fusillé, seulement pour avoir réussi à prouver qu'il avait 17 ans. Pillien et Peyrat avaient en effet trop bien "bricolé" leurs papiers, car pour que les Anglais les engagent, il fallait avoir 18 ans!

La peine de mort était alors interdite aux moins de 18 ans...

Yves LeCarboullec a eu beaucoup de chance, même s'il a failli y laisser sa santé. Il fut libéré de son camp de concentration peu après le 8 Novembre 1942, quand les Américains ont débarqué en Afrique du Nord, lorsque l'amiral Darlan a "retourné sa veste" en passant du côté des alliés, lui qui quelques mois plus tôt...

Comme Guy Môcquet, Pillien et Peyrat eurent le droit et le talent de faire une belle dernière lettre à leurs parents.

Aujourd'hui Guy Môcquet a une station du métro Parisien à son nom et on essaie de l'exploiter politiquement. Les parents (résistants aussi) de Jacques Pillien ont pu récupérer son corps, il est au cimetière à Eaubonne en région Parisienne. La rue de sa maison natale à Eaubonne porte son nom, j'ai d'ailleurs habité durant 9 mois à 200 m de là en 1991. Le pauvre Peyrat n'avait plus de famille, il est donc resté presque oublié au grand cimetière de Mers El Kébir, que la Marine Algérienne garde aujourd'hui. Ne les oublions pas.

Pour l'anecdote ce triste squelette, que la marine nationale conserve très discrètement dans ses placards, a été évoqué avec précision dans l'Hebdo "Le Marin" par l'écrivain Jean-Yves Brouard.

D'autre part Yves Le Carboullec a connu dans son "camps de vacances" des marins Belges du cargo Carlier. Ceux-là croyaient escaler chez des copains en arrivant à Dakar en été 1940. Ils n'ont pas été déçus...

C'était, "quand la France pète les plombs". Car j'ai parfois l'impression que ça recommence.

"Thierry BRESSOL", souvenirs-de-mer.blogdns.net

 

"Résumé des pages 2641 et suivantes de "La mémoire des Français Libres"

Yves Le Carboullec, condamné en même temps qu'eux à 10 ans de travaux forcés, à survécu. Il était né le 18 février 1924 à Lanmodez.

Tous trois avaient formé le projet de rejoindre la France Libre depuis Dakar. Ne trouvant pas de passeur pour aller en Gambie, ils s'étaient embarqués sur le cargo "Gabriel Guist'Hau". Ils savaient qu'il passerait par le détroit de Gibraltar et, armés d'un pistolet, comptaient bien le détourner.

Le 6 mars 1942, trois convois de Vichy arrivent ensembles à Gibraltar, chacun escorté par un patrouilleur et surveillés du coin de l'oeil par des navires de guerres britanniques à postes dans le détroit.

Yves Le Carboullec est à la barre du "Gabriel Guist'Hau", et ses deux comparses arrivent à la passerelle, mettent en joue le commandant et ordonnent en avant toute à la machine, cap sur Gibraltar. Mais les patrouilleurs se mettent à leur poursuite, le commandant s'échappe et fait stopper les machines. Jacques et Paul tente de continuer à la nage mais ils sont rattrapés à quelques encablures d'un bateau britannique qui n'ose utiliser ses armes.

Le 13 mars, ils sont jugés et comme Jacques Pillien s'était vieilli de deux ans sur ses papiers pour pouvoir s'engager et combattre, il ne bénéficie pas comme Yves Le Carboullec de la "clémence" du "tribunal" pour son jeune âge. Avec Paul Peyrat il est fusillé le 23 mars.

Yves Le Carboullec est envoyé à Constantine, aux travaux forcés et il ne sera libéré que le 31 janvier 1943, pesant 35kg. C'est finalement en stop qu'il rejoint le Moyen Orient et s'engage dans les FNFL. Quand en 44 ou 45 il retrouve ses parents en Bretagne, il apprend que son jeune frère a été fusillé par des SS.

La cour d'appel d'Alger a annulé les condamnations le 10 février 1944 "attendu que les condamnés avaient agis par haine de l'occupant".

D'autres l'aimaient peut être un peu trop ?

Dans le "Courrier de Saint Nazaire" du 12 juin 1942, on lit "Le capitaine Le Gallo du bourg de Batz, commandant le cargo Gabriel Guist'Hau, a été promu au grade d'officier de la Légion d'honneur par le Maréchal, pour avoir déjoué la mutinerie de quelques salopards gaullistes ..."

www.livresdeguerre.net

 

Extrait journal Le Figaro, mars 1942, (Gallica).

CONDAMNATIONS POUR TENTATIVE DE MUTINERIE

Vichy, 25 mars.

Vichy, le 6 mars 1942. A 10 heures 15 du matin, deux convois français venant l'un d'Oran, l'autre de Casablanca, allaient se croiser dans le détroit de Gibraltar, lorsqu'un des bateaux du convoi montant, le cargo « Gabriel Guist' Hau » mit le cap sur Gibraltar en augmentant brusquement de vitesse.

En présence de cette manœuvre inexplicable, la réaction des patrouilleurs d'escorte fut immédiate et contraignit le « Guist'Hau » à stopper.

A ce moment, deux hommes se jetèrent à l'eau à l'arrière du cargo et essayèrent de se sauver à la nage. Ils furent immédiatement repêchés par les escorteurs français.

L'enquête a immédiatement établi que ces deux hommes, nommés Peyrat et Pillien, tous deux matelots à bord du « Guist' Hau » avaient essayé, avec la complicité d'un novice, de se rendre maîtres par la force du navire et de le livrer aux anglais.

Armés de revolvers, ils ont fait irruption sur la passerelle et ont fait feu sur le commandant, qu'ils ont blessé au bras tenant alors respect le faible personnel, ils ont essayé de faire route sur Gibraltar. Mais, la prompte réaction des bâtiments d'escorte et le sang- froid du commandant du bord et du personnel accouru sur le pont ont fait échouer cette tentative.

Les deux mutins ont à plusieurs reprises attenté à la vie de leur commandant et à celle des autres membres de l'équipage. Ils se sont rendus coupables d'un acte de trahison des plus graves envers la patrie, cherchant à livrer à l'étranger leur navire et sa cargaison.

Devant leur coup manqué, et devant la réaction unanime de tout l'équipage, ils ont enfin essayé par la fuite de se soustraire à leur juste châtiment.

Traîtres et deux fois criminels, les deux mutins, dont l'un avait déjà subi une condamnation pour vol, ne pouvaient être l'objet d'aucune pitié.

Déférés devant la cour martiale, ils ont été condamnés à mort, le 13 mars et leur pourvoi ayant été rejeté, ils ont été exécutés le 23 mars, à Oran.

Le novice Carboullec Yves, dont la culpabilité était beaucoup moindre, a, en raison de son jeune âge, bénéficié de la clémence des juges et a été condamné à dix ans de travaux forcés. (HAVAS-OF.I.).

Révision 2011-02-10

 

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