LE TRANSPORT DU LANCEUR ARIANE ET LA GUYANE.

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Ce transport qui a l'origine était effectué par le Mont Ventoux de la Compagnie Générale Maritime fut quelques années plus tard confié à la compagnie de navigation Union Industrielle et Maritime.

L'Union Industrielle et Maritime possédait une longue expérience dans le transport des colis lourds. Ses charbonniers de 4700 tonnes participaient déjà avant guerre au trafic des wagons français vers l'Afrique du Nord grâce à leurs ponts dégagés sans aucun gréement.

En 1970, les plans d'un navire original, "Atlas" furent conçus par l'équipe technique et commerciale de l'U.I.M. pour transporter des charges lourdes dans le bassin méditerranéen. Ses caractéristiques performantes permettaient l'accès de charges soit par roulage sur des hauteurs de 8 mètres sous le pont, soit verticalement par deux bigues couplables pouvant lever jusqu'à 190 Tonnes, le transport s'effectuant à l'abri dans une cale de 40 mètres de long ouvrant par un panneau de même longueur.

La technicité reconnue de l'Union Industrielle et Maritime dans le domaine des transports de gros matériels lui ont valu de conclure en juin 1982 avec la société Arianespace, chargée de la commercialisation de la fusée européenne Ariane, un contrat de transport des différentes versions du lanceur européen "Ariane" et de ses accessoires entre la métropole et la Guyane. Ce transport sera réalisé au départ du Havre à partir du 1er janvier 1984 par le navire porte usine "Atlas" qui subira quelques transformations pour être adapté à ce trafic.

En effet, avant de regagner le grand espace interplanétaire, la fusée Ariane doit, par éléments, être acheminée depuis la France vers Kourou, son site de lancement en Guyane.

La Guyane, quoique toute petite sur une carte d'Amérique du Sud, est immense : 90.000 km2 dont 90% de forêts pour 85.000 habitants environ (soit le sixième de la France en superficie et moins d'un habitant au km2) mais la partie active et facilement accessible est très restreinte: elle se limite à une bande côtière, n'allant même pas du sud au nord (la seule vraie route longe la côte de Cayenne à Saint Laurent du Maroni soit 246 km) avec un grand pôle d'intérêt au sud situé à Cayenne (plus de 30.000 habitants, soit presque la moitié de la population) et un pôle secondaire à Kourou avec le centre spatial.

Malgré cette immensité, la Guyane est très clochemerlesque : tout le monde se connaît, tout le monde sait tout, chacun a une idée très précise d'autrui et souvent ne se cache pas pour la dire.

Lorsque l'on arrive dans ce pays, nous sommes saisis par les conditions climatiques inhabituelles: 30° environ et 98% d'humidité. "Le bagne commence". On travaille dans un véritable sauna! Il est intéressant (mais aussi pénible) de noter que ces conditions ne varient quasiment pas: la température est presque constante... l'humidité aussi, si bien que l'on oscille entre le bain turc et le sauna.

Pour les personnes non habituées au décalage horaire, un petit truc permet "d'avaler" ce décalage: il suffit de prendre un bon repas pour régler l'estomac au nouveau rythme de vie (facile à dire, mais difficile à faire pour celui qui arrive par voie aérienne après avoir déjeuné dans l'avion, goûter, dîner dans l'avion). Cependant les crampes d'estomac que l'on a les jours suivants laissent supposer que ce truc est peut-être efficace.

La vie durant le séjour, rythmée par le travail, peut ressembler à celle des bagnards ou des moines puisque l'on mélange allègrement le rythme européen et guyanais entre les heures de travail et éventuellement de farniente à l'ombre des cocotiers bercés par le bruit des alizés dans les branches et le concert assourdissant des crapauds et des oiseaux (la cacophonie ne s'arrête jamais, car la nature faisant très bien les choses, les oiseaux qui hurlent tout le jour sont remplacés sans aucune défaillance par d'autres qui hurlent la nuit soutenus par le coassement lancinant des crapauds. Dans la forêt équatoriale on a l'impression d'être auprès d'une tondeuse à gazon. Malheureusement, le bruit ne fait pas fuir les moustiques qui n'ont pas d'oreilles, ce qui justifie le dicton: ventre affamé n'a pas d'oreilles !)... Il faut du temps pour s'habituer à ce rythme de vie.

Après 11 à 12 jours de navigation, selon les conditions météorologiques, le navire arrive au port en eau profonde de Degrad des Cannes qui est le port de Cayenne. Si l'appellation de ce port est pleinement justifiée par les quais existants, l'expression "eau profonde" l'est nettement moins: l'eau est très chargée en alluvions et souvent ne se distingue pas nettement de la vase des berges, quant à la profondeur ni le port ni le chenal ne sont profonds mais permettent tout de même l'accostage du navire "Atlas".

Le navire a subi des modifications qui lui permettent de franchir la "barre" de la rivière puis de naviguer dans ces eaux limoneuses en faisant fonctionner ses machines sur un circuit d'eau de refroidissement interne qui lui donne une autonomie d'une demi-heure pour pouvoir se mettre à quai dans des conditions optimum de sécurité pour les appareils de propulsion.

Arrivé à quai commencent les opérations de déchargement des conteneurs et remorques spécialement aménagées pour le transport des éléments du lanceur Ariane. Lorsque tous ces éléments sont à terre un convoi est formé, qui, sous haute protection policière, est acheminé vers le centre spatial de Kourou qui se trouve à environ 80 kilomètres.

Le centre spatial de Kourou est gigantesque et très impressionnant (surface: 900 km2, 50 km de côtes), Il se compose d'un centre de tir à distance avec tous les pupitres de commande et de préparation du tir et du tir lui-même. Ce centre situé à bonne distance du pas de tir peut vivre en circuit fermé sans aucun contact avec l'extérieur en cas d'explosion de la fusée et donc d'envoi dans l'atmosphère de produits toxiques. A ce centre de contrôle est accolée l'aire de pré montage de la fusée: dépotage des conteneurs, érection des trois étages et mise en place de tous les éléments annexes. Ce hall de montage qui englobe la fusée en position verticale est entièrement climatisé, ce qui est absolument nécessaire pour le matériel mais aussi pour les hommes.

De ce stand de montage la fusée est conduite vers le pas de tir, fixée verticalement sur une table qui roule sur deux voies de chemin de fer parallèles. Le pas de tir est constitué d'une tour de lancement et d'une tour métallique mobile recouvrant la fusée jusqu'aux dernières heures qui précèdent le tir et permettant de maintenir le lanceur sous air conditionné et à l'abri des intempéries. L'ensemble permet évidemment la mise en place du ou des satellites ainsi que le remplissage des réservoirs et le contrôle du lancement en temps réel dans les premières secondes suivant la mise à feu. Il est ainsi possible d'éteindre la fusée et d'arrêter le tir même après la mise à feu si des paramètres anormaux. Ce qui est arrivé plusieurs fois.

Si, en cours d'escale, l'on a le temps de faire un peu de tourisme, on peut louer une voiture et pousser jusqu'à Saint Laurent du Maroni. Là on peut apercevoir et visiter les vestiges du bagne. En effet Si Cayenne est très connu, l'établissement pénitentiaire y a toujours été très réduit, d'autant plus que les ruines y on été rasées. Les trois grands centres à visiter sont les îles du Salut (cet établissement propriété du centre spatial est entretenu et restauré), Saint Laurent du Maroni et Saint Jean du Maroni qui est une "île paradisiaque" sur le Maroni.

Le centre de transportation de Saint Laurent est entièrement squatté, les bâtiments sont occupés par une foule de gens très pauvres cohabitant avec leurs animaux Nous y avons vu là un aperçu d'une grande "misère noire" étalant un cycle naturel très complet: les gens jettent leurs ordures à leur porte, les animaux les mangent puis sont ensuite mangés...

Si l'on se trouve en Guyane à la bonne saison, on peut, après avoir traversé au péril de sa vie -(il n'est pas rare en effet de se trouver nez à nez avec un arbre qui barre la route à la sortie d'un virage ou de crever un pneu ce qui est particulièrement délicat car il faut alors changer son pneu tout en luttant contre les moustiques qui vous assaillent. Les Guyanais prétendent d'ailleurs que les moustiques de Cayenne sont infiniment plus méchants que ceux de la forêt équatoriale) - au péril de sa vie - la forêt équatoriale pour aller sur un des derniers territoire de ponte des tortues luth qui ressemble en fait (chaleur et végétation mise à part) aux plages de débarquement car ces "engins" ont labouré le sol de façon inimaginable et laissent des traces semblables à celles des tanks. Il faut signaler que la comparaison est encore plus justifiée pour les bébés tortues qui tentent de gagner la mer après l'éclosion des œufs car les ennemis prédateurs qui les guettent (aigles, chiens, poissons-chats, caïmans, etc... et indigènes) leur laissent peu de chances. Pour les mères l'opération ressemble au 6juin 1944 en Normandie et pour les petits à Dunkerque.

Enfin, avec un peu de temps supplémentaire, il est intéressant de prendre le bateau au départ de Kourou pour se rendre aux îles du Salut: L'île Royale - la plus grande-, l'île Saint-Joseph et l'île du Diable, celle où le capitaine Dreyfus connut la solitude et l'exil. Ces îles qui furent jadis des lieux d'enfermement et de réclusion sont aujourd'hui restaurées dans leur originelle splendeur et réhabilitées dans leur vocation première d'escales de rêve. Les logements des gardiens transformés en restaurant et chambres d'hôtel attendent aujourd'hui la visite des touristes.

Le vieil "Atlas", démodé et devenu trop petit avec les nouvelles générations de lanceurs Ariane 4 fut remplacé en 1988 par un navire porteur franco-allemand: "Ariana". Ce navire flambant neuf, construit dans un chantier allemand, propriété d'un armement allemand mais armé par des marins français était géré par un groupement franco-allemand sous le sigle UMFA (Union Maritime Franco-Allemande). L'équipage composé de quatorze marins et officiers français étant sous les ordres d'un commandant allemand. Rattaché au port de Hambourg, l'"Ariana" sous pavillon allemand portait cependant bien haut les couleurs de la bannière étoilée sur fond bleu de l'Europe.

Ce navire de 112 mètres de long et de 6.550 tonnes de port en lourd est entré en service en février 1988. Doté de deux grues de 100 tonnes de puissance, le navire a été particulièrement étudié pour ce transport hors du commun d'Ariane. Son château situé tout à l'avant dégage une vaste cale couvrant une longueur de 90 mètres Il est doté à l'arrière d'une rampe classique de navire roulier et est équipé d'un système anti-roulis afin de transporter avec le moins de chahut possible Sa précieuse cargaison.

La plupart des éléments de la fusée acheminés depuis Vernon par la barge "Arianespace" sont en provenance de la SEP (Société Européenne de Propulsion). "Ariana" charge au Havre les premier et deuxième étage de la fusée ainsi que ses coiffes, spelda, case, propulseurs d'appoint, divers conteneurs de matériel d'accompagnement et le carburant de la fusée: hydrogène pour le troisième étage et UDMH (ergol) pour la combustion des moteurs du premier et du second étage. Sous atmosphère neutre composée d'azote, les étages de la fusée, conditionnés dans des conteneurs spéciaux qui les protègent notamment des chocs, de l'humidité et des températures extrêmes, sont embarqués par roulage à l'intérieur du navire. C'est le système "roll on roll off" qui requiert l'utilisation d'un navire roulier et de barges dotées de portes d'accès et l'existence de rampes inclinées sur les quais d'embarquement.

Le deuxième étage ainsi que les propulseurs d'appoint à liquide sont embarqués en Allemagne, à Brême, où ils sont assemblés.

A l'arrivée en Guyane, tout le matériel est débarqué au port de Degrad des Cannes, près de Cayenne, puis acheminé par voie routière jusqu'à l'ensemble de lancement de Kourou. Les conteneurs vides et les matériels roulants effectuent le chemin inverse au retour de l'"Ariana".

La traversée vers la Guyane dure 11 jours et demi. Un transport Brême Kourou dure 12 à 14 jours selon les conditions météorologiques. La rotation complète devant s'effectuer en moins d'un mois pour permettre la cadence de lancement visée. Le tronçon fluvial jusqu'au havre s'effectue en 36 heures, en parallèle avec le tronçon maritime Brême-Le Havre.

Le planning type de transport étant établi de telle façon que le navire "Ariana" amène le lanceur N une semaine avant le début de la campagne du vol N et ramène les conteneurs vides du vol N-2.

Avec l' arrivée d'une nouvelle génération de lanceur plus importants avec Ariane 5, un nouveau navire spécialisé nommé "Toucan" fut construit et mis en service en 1995. Ce navire a été conçu pour pouvoir accoster directement à Paracaibo le port de Kourou, situé sur le fleuve du même nom, spécialement aménagé pour éviter le transport routier des éléments de la fusée, l'importance de ces éléments de convoi nécessitant des aménagements routiers trop importants.

En tant que marin je ne peux que regretter que ce navire sous pavillon français "bis" soit armé par un équipage de marins philippins. Ainsi ont confiait le fleuron de la technologie européenne à des mains étrangères, chose d'autant plus surprenante lorsque l'on sait que les premiers équipages français affectés sur le navire "Atlas" puis sur le navire "Ariana" étaient formés de marins hautement spécialisés et agréés par certains services de sécurité que je ne nommerais pas.

Si après ces quelques descriptions apocalyptiques de la Guyane vous êtes encore tentés par un séjour, nous vous conseillons le matériel suivant: lunettes de soleil, crème solaire, tenue très légère et ne craignant pas l'eau, maillot de bain pour les piscines (si vous envisagez les bains de mer nous vous conseillons alors quelques petits accessoires indispensables tels que poudre anti-requins et bottes vous permettant de traverser la vase au milieu de myriades de crabes et d'atteindre enfin ... l'eau boueuse), boules Quies contre les bruits nocturnes extérieurs ou la climatisation.

 La Guyane ce n'est plus le bagne! et, malgré les inconvénients décrits ci-dessus et libéré de toutes contraintes professionnelles, c'est avec plaisir que j 'y retournerais, il me reste tant de choses a y découvrir.

Quelques rotations navires UIM :

Transports ATLAS :

V.8 04.03.84 V.9 22.05.84 V.10 04.08.84
V.11 10/11/84 V.12 08/02/84 V.13 08/05/85
V.14 02/07/85 V.15 12/09/85 V. 16 21/02/86
V. 17 28/03/86 V. 18 30/05/86 V. 19 16/09/87
V.20 22/11/87        

Transports ARIANA :

V. 21 11/03/88 V. 31 06/06/89 V. 41 15/01/91
V. 22 15/05/88 V. 32 12/07/89 V. 42 02/03/91
V. 23 17/06/88 V. 33 08/08/89 V. 43 04/04/91
V. 24 21/07/88 V. 34 27/10/89 V. 44 16/07/91
V. 25 08/09/88 V. 35 22/01/90 V. 45 14/08/92
V. 26 28/10/88 V. 36 22/02/90 V. 46 26/09/91
V. 27 11/12/88 V. 37 24/07/90 V. 47 29/10/91
V. 28 27/01/89 V. 38 30/08/90 V. 48 16/12/91
V. 29 06/03/89 V. 39 12/10/90 V. 49 26/02/92
V. 30 01/04/89 V. 40 20/11/90    

 

V. 50 15/04/92 V. 60 22/10/93    
V. 51 09/07/92 V.61 19/11/93    
V. 52 10/08/92 V.62 17/12/93    
V. 53 10/09/92 V.63 24/01/94    
V. 54 27/10/92 V. 64 17/06/94    
V. 55 01/11/92 V. 65 08/07/94    
V. 56 11/05/93 V. 66 10/08/94    
V. 57 24/06/93 V. 67 08/09/94    
V. 58 22/07/93 V. 68 07/10/94    
V. 59 25/09/93 V. 69 31/10/94    

 

calendrier prévisionnel des rotations

 

Voir le site Capcom espace ; Le transport d'Ariane   

 

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