Union Industrielle et Maritime

 remonter

M/S "JEAN-SCHNEIDER"

"JEAN-SCHNEIDER " navire porte-usine (voir les images) (Voir un diaporama complet)

Comme son plus jeune frère "Atlas" le "Jean Schneider" vient d'effectuer un voyage Saint-Wandrille-Pointe-Noire, en transportant des plates-formes pétrolières.

M. H.., 2e Capitaine, nous a adressé à ce sujet le compte rendu que nous présentons ci-dessous à nos lecteurs:

La vocation de l'U.l.M. en tant que transporteurs de colis lourds n'est pas nouvelle et l'on se souvient des chargements exceptionnels comme le retour du train de l'amitié sur le Magellan, du Radom de la frégate "Suffren" à bord de l'"André Masset", des nombreux wagons et locomotives sur l'Algérie, sans oublier les éléphants du cirque Amar et plus récemment bien sûr, de la conception du dernier né de la société : l' "Atlas". La publicité faite autour de son lancement a peut être ouvert des horizons nouveaux aux constructeurs de matériel "off shore" pour la recherche et l'exploitation pétrolière.

L'idée étant lancée, le porte-usine n'a pas été celui que l'on attendait. Bien trop petit mon ami! (Le tirant d'eau minimum requis pour charger les colis était 6,80 m, nous en reparlerons.) D'autres considérations techniques firent qu'après quelques transformations le doyen de la compagnie, le vénérable "Jean Schneider" fut désigné pour ce voyage très spécial.

Pour situer le problème je vais essayer de vous présenter le colis.

Son nom d'abord: "Emeraude".

Sa raison sociale: Plate-forme d'exploitation pétrolière construite à Saint-Wandrille, près de la célèbre abbaye, par l'Union Industrielle d'Entreprise pour le compte de Elf-Congo.

Son signalement : Ensemble de deux plates-formes à deux ponts reliées par une passerelle de 100 mètres.

Description sommaire: L'ensemble n° 1 dit PPN1 est composé de deux ponts qui embarqueront séparément:

PPN 1 inférieur sur les cales 1 et 2, poids 188 tonnes entre axes des pieds 15 m, largeur 26 m, longueur 21 m, hauteur 14 m.

PPN1 supérieur sur les cales 6 et 7, poids 308 tonnes, entre axes 15 m, longueur 28 m, largeur 26 m, hauteur 12 m, avec sur le dessus un hélideck de 46 tonnes, haut de 4 m, carré de 14 m de côté.

L'ensemble n° 2, dit PPN2, sur les cales 3 et 4, dont les deux ponts sont déjà montés mais dont les réchauffeurs seront embarqués horizontalement sur la cale 5 et dans la cale 3.
PPN2, poids 280 tonnes, entre axes des pieds 10,50 m, hauteur 17 m, longueur 21 m, largeur 20 m. Réchauffeurs, poids 63, 63 et 30 tonnes, longueur 10,50 m, diamètre 4,80 m.

Enfin la passerelle de raccordement, triangle équilatéral de 4,50 m de côté en deux tronçons, l'un de 64 m pour 58 tonnes à babord, l'autre de 48 m pour 38 tonnes à tribord, arborant une torchère verticale de 16 m à son extrémité flanque le navire, posée sur des bras supports, portant sa largeur hors tout à 28 m. Bien entendu une quantité de tuyaux de jonction et matériaux divers aux noms barbares et peu français seront embarqués en cales 3 et 5. Les hauteurs données sont celles théoriques des ponts et ne tiennent pas compte des rembardes, collecteurs et autres appareils installés sur ces ponts.

La préparation du navire débuta à Saint-Nazaire pendant l'arrêt technique d'avril par le doublage de 4 portiques de chaque côté dans les tunnels sous les futures assises des pieds de PPN1 inF. et de PPN2, le chargement étant prévu pour fin juillet.

Le "Jean Schneider" sortit donc de son trafic habituel et se présenta le 27 juillet à Saint-Wandrille. Avec curiosité nous avons contemplé beaucoup de structures métalliques, essayant de faire un rapprochement entre les plans et la réalité. En fait Emeraude était "tout ce qui est peint en jaune ". Evident, mais il fallait y penser! Notre première impression du "Yard", comprenez chantier, fut un immense fouillis de ferraille à dominante "pipe", mesuré bien sûr en "pouces "". Un des soudeurs de l' "UIE" me demanda, avec un bon accent cauchois, si on allait débarquer les caisses rouges avant de charger les ponts; le brave homme avait pris les hiloires de cales pour des containers.

La première phase du chargement consista à mettre le navire à égal tirant d'eau tout en l'enfonçant au maximum. La bigue hollandaise demandait au moins 6,80 m, nous avons réalisé 7,10 et PPN2 embarqua au centimètre près, faisant frissonner les chargeurs. Cette opération fut réalisée en mettant 800 tonnes d'eau dans la cale à charbon.

Notre affrètement débutait le 31 à 0.00 et les matines monacales sonnant, une théorie d'hommes masqués, chevaliers du chalumeau et de la baguette de soudure prit possession du navire pour y installer les divers supports, pas moins de 90 t de ferraille, en 19 éléments.

Le 2 août, le "Schneider" fut reculé pour dégager le quai en face des "ponts" et mis sur chalands débordoirs (ces bêtes à saleté que tous les habitués du port de Rouen connaissent) afin de ne pas engager les supports de passerelle à marée basse. En fait les "ponts" étaient encore à une centaine de mètres du quai, car ils avaient été construits sur le terre plein en dur ne pouvant séjourner sur l'appontement creux. Trois voies furent donc alignées, terrassées, couvertes de traverses de chemin de fer et de gros fers en " H" horizontaux en guise de rails. (Une voie commune au milieu supportant 6 pieds et les deux autres 4 et 2 pieds.) Des treuils furent amarrés sur les bolards, un énorme palan maillé sur chaque pied avant et l'opération du "skidding" commença. Imperceptiblement mais sûrement les immenses structures furent halées jusqu'à ce que la "Tacklift" puisse les saisir à pleine mer. Je ne vous ai pas encore présenté la "Tacklift 1", bigue hollandaise de 800 tonnes de puissance, qui attendait tranquillement depuis quelques jours, en buvant de la bière, son heure pour entrer en action.

La sobriété des gestes et des paroles, la précision extrême des manœuvres de cet engin impressionnèrent beaucoup l'assistance. L'embarquement se poursuivit sans histoire avec rectification d'assiette et de gîte entre chaque colis, du 3 août à 3 heures (toujours les matines) au 4 août 24 heures.

En pondéreux on appareille immédiatement après la fin du chargement, en aciers le délai est de quelques heures, dans le cas présent, le saisissage fut achevé le lundi 7 à 18 heures. Plus de 400 mètres de soudure triple, épontilles, fils d'acier, haubans, rondes dans les hauts, pour faire la chasse aux canettes de bière, boulons et autres objets, sujets au vertige, et l'heure du départ approcha. Il fallut tout de même transférer les feux de route babord et tribord sur l'avant de PPN1 inférieur. Un mât fut planté sur PPN2 pour pouvoir arborer des signaux visibles sur tout l'horizon. Enfin deux materaux surélevèrent l'antenne du radio, en effet PPN2 était plus haut que le radar et l'helideck sur PPN1 supérieur dominait la cheminée.

Des transactions sourdes, à tous les échelons, échouèrent: Certains responsables de l' U.I.E. ayant essayé de soudoyer l'équipage pour peindre sur la coque un E au lieu du M ; démarche vaine, nous avons gardé un ingénieur en otage jusqu'à Pointe-Noire et une énorme pancarte portant le sigle U.I.E. fut accrochée sur PPN2. Enfin les groupes électrogènes, les postes de soudure, les peintres de la dernière minute se retrouvèrent sur le quai. Tous les employés du chantier voyaient la fin de leur travail forcené, ils n'avaient mis que sept mois pour construire cet ensemble pratiquement terminé (les extincteurs, les manches à incendie, étaient à poste, les armoires de commande sous atmosphère constante en ordre de marche, alimentées par le courant du bord: le "Jean-Schneider" a eu son air conditionné, très frais, 15°, dans un local d'une vingtaine de mètres cubes, au sommet des plates-formes).

Deux remorqueurs, deux pilotes et vogue la... non le vaisseau! Très belle traversée malgré une visibilité parfois problématique surtout pour observer les étoiles qui prenaient toujours un malin plaisir à se cacher derrière les tuyaux.

Les quelques collègues français rencontrés à la mer nous ont affirmé que nous étions monstrueux d'allure et fort intrigants. Tout le monde s'écartait gentiment, sauf certains navires de pêche sur la côte d'Afrique qui vinrent prendre des photographies de plus près.

Le passage de l'avant à l'arrière du navire tant par le pont que par les tunnels était très sportif et ressemblait plus à un parcours du combattant qu'à une promenade digestive. Le traditionnel baptême de la ligne, régal pour les anciens car les néophites étaient nombreux, organisé sur le pont des embarcations faute de place ailleurs, coupa cette traversée de beau temps et seul un petit coup de vent (8 beaufort) en Manche nous priva d'un 15 nœuds de moyenne. La performance fut tout de même excellente avec 13 jours 1 heure de quai à Saint-Wandrille au mouillage de Pointe-Noire. Le 23 nous prenions notre poste définitif dans le port affourché, l'arrière sur coffre. Le dessaisissage de la cargaison commença avec une équipe venue de Normandie dont les congés en rapport direct avec notre vitesse avaient été trop courts. Nous aurions dû marcher 6 nœuds!

La barge qui devait nous décharger n'arriva que le 28.

Construite à Bordeaux, l'ETPM 501 est une usine flottante de 7000 tonnes portant une grue de 500 tonnes (80 m de flèche), un train de pose de "sea line", une foreuse, une sonnette, des ateliers divers, une centrale, etc., et les aménagements pour 150 personnes; pas de luxe, mais un confort sobre et spartiate. Pas d'inscrits maritimes à bord, cela se voyait, travaillant 22/24 en deux bordées le contraste avec la "Tacklift" était brutal. Nous avons gardé le souvenir d'un "fouillis dispendieux", mal adapté au travail qui lui était proposé, cachant sa pagaille sous un vernis d'efficacité. Je pense que dans sa spécialité elle devait être un redoutable engin de travail "off shore"; mais dans le cas présent, au port, en manutention lourde et légère (trop légère) la démonstration ne fut pas ébouriffante et le déchargement commencé le 28 à 15 heures se termina le 3 à 3 heures. Dans ce laps de temps il faut compter le démontage de deux séparateurs de PPN1 sup. par mesure de sécurité pour la pose en mer des "ponts" sur le "jacquet" du "site" (allègement de 60 t) et le raccordement à terre des deux tronçons de la passerelle de jonction. Une autorité de... Congo demanda pourquoi PPN1 inf. avait un portique non prévu au contrat: il lui fut répondu que le portique en question appartenait au navire et n'était pas à débarquer.

Marchepieds coupés, rambardes tordues et coupées, durement stigmatisé sur ses ponts encore chargés de 90 t de ferraille en vrac, semblant survivre d'un cyclone, le navire accosta le 3 à 8 heures au poste à minerai. Ce même jour à minuit le "Schneider" était débarrassé de ce poids mort excédentaire et avait repris meilleure mine. Nous appareillâmes le 4 à 10 heures, chargés de 20 280 t de manganèse, salués au départ par les gens de l'U.I.E. et de la barge surpris de nous voir si bas sur l'eau et si vite partis...

J. H.., 2e Capitaine du "Jean Schneider".

Septembre 1972.

 

 

© UIM.marine - Site mis à jour le 03/06/2012   retour index  plan du site  plan archives

Si vous possédez des informations, des documents ou photographies inédites concernant un navire ou un dossier

et que vous acceptiez  de les partager en les publiant sur ce site, merci de prendre contact. uim.marine(at)free.fr

Venez partager vos connaissances sur cette compagnie ou vos souvenirs de navigants sur le forum UIM.