Il apparaissait
depuis plusieurs années déjà, que l'exploitation
Grand Lacs du
"Mélusine" était plus défavorable que celle du "Christine". En
effet, il avait été envisagé, lors des études de ce type de
navire nouveau pour nous, qu'il pourrait bénéficier du futur
complexe de Bayonne pour l'exportation de soufre provenant de la
désulfuration du gaz de Lacq. Les retards à la mise en œuvre du
nouveau port et les nouvelles orientations de l'exploitation
firent que le "Mélusine" n’eut jamais l’occasion de fréquenter
Bayonne. "Christine" et "Catherine" ont donc été conçus plus
"normalement" avec une cale supplémentaire et s'avérèrent par la
suite parfaitement adaptes à la desserte des Grands Lacs.
Le "Mélusine" souffrait de son
volume moins important diminuant son rendement commercial, et de
sa longueur anormalement faible réduisant ses performances.
Au cours de l'été dernier, il a
donc été décidé d'étudier un allongement tel qu’il permette au
navire d'avoir 6 cales, sans diminuer de façon notable ses
qualités nautiques. De plus, l'application des nouvelles règles
de franc bord devait rendre l'opération encore plus intéressante
puisque, hors période Grands Lacs, le nouveau port en lourd
escompté était supérieur de près de 3 000 tonnes à celui
d'origine.
Les études préliminaires, en
liaison avec le Bureau Véritas, ont défini qu'un doublement de
la cale 3 permettait l'implantation d'une nouvelle cale à
minerai (plafond de ballast renforcé) au prix de la mise en
place d'une doublante de pont de chaque bord.
Au 1er octobre, nous étions en
mesure, après établissement d'une spécification détaillée, de
lancer les consultations.
Une cinquantaine de chantiers,
en Europe et dans le monde, dont 6 en France, ont été
pressentis. Nous avons obtenu une vingtaine de réponses
positives, dont une dizaine de propositions intéressantes.
Compte tenu des prix et délai, l'allongement du navire à
effectuer au printemps 1969 fut confié au Chantier Lisnave de
Lisbonne.
En même temps, afin d'aboutir à
une certaine harmonisation des postes de conduite des navires
les plus récents, le service technique mit à l'étude, pour le
"Mélusine" la commande à distance de la passerelle et une
régulation de vitesse, du moteur principal.
L'idée maîtresse de cette
transformation était d'adapter et de perfectionner si possible
les solutions "Christine", "Catherine" et "Hermine" dans le
délai, études et réalisation, le plus court.
En effet, le moteur Doxford du
"Mélusine" est un moteur de type ancien dont les pompes à
combustible en particulier obligeaient à installer une
mécanisation plus "musclée" pour leur contrôle. D'autre part, la
réalisation "Hermine" avait montré l'avantage de vérins
électriques pour la précision du positionnement aux
mécanisations des différentes commandes (pression combustible —
injection et lancement).
Le fournisseur du matériel sur
l' "Hermine" TELEFLEX en l'occurence, pouvait répondre à ce que
nous attendions, cette solution fut donc rapidement retenue pour
sa simplicité, sa fidélité et, compte tenu du délai très court
d'étude, pour l'avantage d'une réalisation déjà éprouvée.
En raison des expériences
précédentes très satisfaisantes, la régulation électronique
BREGUET SAUTER HARLE fut reconduite ainsi que le système de
relais "TELESTATIC" de la TELEMECANIQUE ELECTRIQUE qui a fait
ses preuves sur "Hermine".
Il est à remarquer
que ces études ont été conduites en moins
de 3 mois pour laisser à nos
sous-traitants un délai suffisant de fabrication auquel la
plupart ont d'ailleurs souscrit sans trop de difficultés.
Comme sur les plus récents
navires, nous avions prévu un poste de manœuvre sur la
passerelle et l'installation d'un pupitre de contrôle et de
commande de secours en cabine dans la machine. Il avait été
également envisagé de ramener ultérieurement dans cette cabine
l’essentiel des contrôles de conduite, car la dépense à prévoir
dans l'immédiat était trop élevée. Ceci nous a amenés à
ne mettre en place que les contrôles machine
indispensables en manœuvres. C'est pourquoi également nous
avons différé le montage de la cabine contrôle machine.
La période d'hiver 1968-1969 a
donc été employée à préciser les détails aussi bien de
l’allongement que de l’automatisation de manœuvre du moteur.
Dans le courant du mois de
décembre, deux ingénieurs de Lisnave vinrent à bord, au cours
d'une escale à Rouen, relever les dimensions du navire au niveau
de la coupe prévue pour l'allongement.
Il est évident que
cette opération était indispensable avant
la mise en œuvre, au Chantier, de la nouvelle tranche. Les
largeurs, hauteurs et gabarits de tôle carreau furent donc
relevés.
La nouvelle cale 3 a été
préfabriquée de façon classique sur les terre-pleins du
Chantier, d'abord en panneaux puis montés en éléments qui,
finalement, ont été assemblés en cale sèche.
La tranche une fois assemblée
et soudée a été ensuite ramenée le long d'un quai d'armement
pour les finitions de soudure et de peinture de primérisation.
A ce sujet, afin de bénéficier
au niveau des peintures primaires des progrès réalisés depuis
plusieurs années, nous avons adopté pour la nouvelle section le
procédé ECOL ZINC.
Cette primérisation à l’aide
d’une peinture aux résines epoxy zing réalise ce qu'on pourrait
appeler une galvanisation à froid après décalaminage des tôles
par grenaillage ou sablage, recevant ensuite une protection
finale en epoxy aluminium.
Autre avantage recherché d'un
tel type de protection, la limitation au minimum des travaux
d'entretien et de préparation des latéraux avant chargement de
céréales.
Le navire est arrivé à Lisbonne
peu avant les fêtes de Pâques, plus précisément le 2 avril, pour
aussitôt être mis en la grande cale sèche du chantier ancien de
Rocha, où il a été présenté en arrière, ce qui est très
inhabituel mais justifié par la technique d'assemblage par
flottation de la nouvelle tranche et de la partie AV. Entre le 2
et le 8 avril, les chantiers se sont consacrés au nettoyage des
ballasts où devaient passer les nouveaux collecteurs
d’épuisement de la nouvelle cale 3. Les travaux ont donc
commence le 8 avril par la détermination optique (à l'aide du
théodolite) de l’axe longitudinal du navire au niveau de la
quille. De cette définition primordiale découlait toute la
précision des opérations de découpage de la section maîtresse et
de l’assemblage des anciennes parties et de la nouvelle section.
Aussitôt après traçage sur les
bordés, pont, plafond de WB et cloisons latérales de cale,
commençait le découpage lui-même, qui nécessitait quelques
précautions et surtout de suivre une séquence évitant les
déformations de la coupe. Ce travail a duré deux jours.
Dès que le bordé de fond a été
découpé des guides femelles ont été posés sous la tôle de quille
sur l'AV et l'AR de la coupe, de manière à permettre le centrage
dans le sens transversal de la partie nouvelle. Celle-ci lors de
l’assemblage en cale sèche, avait reçu les guides mâles
correspondant.
Aussitôt après ce découpage le
navire se présentait donc avec la partie AV comprenant : peak AV,
deep tank AV, cale 1 et cale 2 complètes La partie AR comprenant
cales 3, 4, 5, compartiment machine, peak AR.
La mise en œuvre d'assemblage
consistait à garder échoué tout l'arrière du navire et a faire
flotter l'avant qui devait être sorti de cale sèche pour
permettre d'y entrer la nouvelle tranche 3.
Pour garder échouée la partie
AR, tous les ballasts de fond et latéraux ont été remplis et des
découpures faites dans les cloisons de cale.
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Découpe section avant |
Séparation section avant |
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Au moment du remplissage du
bassin, vers 15 h 30, le 10 avril nous avons donc pu voir de
l'eau dans les cales 3, 4, 5, jusqu'à 4 ou 5 mètres de hauteur
et la partie AV flottant librement avec une assiette nulle .
Vers 16h30, l’avant a été sorti
de cale et la nouvelle section amenée aussitôt l'avant suivant
de près. La porte de la forme fût refermée dès que l'avant eût
été immobilisé et amarré.
Les opérations de réglage
furent entreprises dès que le niveau de l'eau eut été abaissé
dans la forme de telle manière qu’une fois échoué le nouvel
élément, des palans suffisaient à le déplacer. Des plongeurs
sous-marins ont participe au contrôle de l'assemblage des guides
mâle et femelle
Ces différents travaux ont été
menés à bonne fin vers 8 h 30, le 11 avril.
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Sortie section avant, la
nouvelle tranche prête à entrer en forme. |
Sortie section avant,
navire échoué, la nouvelle tranche prête à entrer dans
la forme. |
Les trois sections
présentées dans la cale |
Ainsi, en moins de 18 heures,
le navire a été doté d'une cale de plus !
Il ne restait plus qu’à
procéder aux divers ajustages et aux rectifications de coupes
qui s’imposaient.
Il est à remarquer que ces travaux ont été facilités par la similitude des deux sections transversales qui prouve que le navire
d'origine était bien identique à son plan de forme. Il était en
effet à redouter que, malgré les mesurages, forcement limités,
des différences apparaissent dues par exemple a des déformations
de la coque ou à des réparations de bordé insuffisamment
précises
Les travaux de jonction furent
menés avec beaucoup de précaution en effectuant toujours les
soudures de manière symétrique par rapport a l’axe longitudinal
afin d'éviter les déformations dues au retrait qui auraient pu
entraîner des décalages gênants lors de la jonction de l'avant à
la nouvelle section.
Dès que le réglage définitif et
les soudures essentielles furent terminés le chanter procéda,
après nouvelle remise en eau de la forme, à un rapprochement
définitif de l'avant. La même méthode d'assemblage et les mêmes
précautions furent prises pour le montage de la nouvelle cale 3.
Dès
que les soudures d'assemblage ont été terminées au niveau des
deux coupes, le navire a été sorti de la cale sèche. Il restait
encore à terminer les dernières soudures des cloisons de cale et
dans les ballasts latéraux et à installer les doublantes sur le
pont. La nouvelle hiloire devait encore être réglée.
Il est à remarquer
que les travaux essentiels que représentait l'allongement
avaient nécessité 17 jours de cale sèche (dont 5 jours
neutralisés pour les fêtes de Pâques).
Les 13 jours suivants furent
consacrés, en dehors des finitions d’assemblage aux préparations
par grenaillage des surfaces anciennes dans la nouvelle cale et
les ballasts latéraux avant la mise en peinture faite aussitôt.
Durant ce temps également, les
2 doublantes de 22 mm d'épaisseur 1,50 m de large et 76 m de
longueur, ont été soudées sur le pont.
Avant que le navire quitte le
chantier, il était nécessaire de procéder à une expérience de
stabilité en vue de contrôler le nouveau poids de la coque.
"Mélusine" fut donc ramené en forme, mais à flot évidemment pour
effectuer cette dernière opération. Malheureusement, le mauvais
temps obligea à la différer de 24 heures, car le roulis dans la
forme atteignait la valeur de l'inclinaison obtenue par les
déplacements de poids, de l'expérience.
Le navire allongé a quitté
Lisbonne le 3 mai pour son premier port de chargement Setubal,
où il devait embarquer, au tirant d'eau de 24 pieds plus de 11
700 tonnes de pyrites à destination d'Anvers.
Les cales 1, 3, 4 et 6 sont
renforcées pour le transport de minerai comme les "Christine" et
"Catherine".
En même temps que l'allongement
du navire, il a été procédé aux réparations de la coque et de
l'appareil moteur.
Nous avons pu également
installer, malgré des difficultés de personnel dues à la trop
grande charge du chantier à ce moment, la plus grande partie des
différents éléments de commande à distance et d'automatisation
du moteur principal. Ce matériel a d'ailleurs été transporté par
les navires de nos lignes régulières sur le Portugal.
Pour cela il nous a fallu :
1° Développer la plateforme
sur l'arrière du tableau principal pour y installer les pupitres
de contrôle et l’armoire de télécommande et d'automatisation.
2e Confectionner et poser les
carlinguages des vérins électriques et pneumatique pour commande
de cran combustible stop et changement de marche qui ont été
aussitôt mis en place et reliés aux arbres de commandes, qui ont
dû être allongés.
3° Confectionner et poser le
carlingue du vérin électrique de pression de combustible relié
lui aussi à son arbre de commande.
4° Poser et raccorder près de
1 Km de câbles électriques de liaison entre les différents
appareils.
5° Installer le système
d’amortissement et de contrôle de pression de combustible (une
bouteille d'accumulation de pression 500 bars et un détecteur de
pression électrique).
6° Installer la centrale de
production d’air comprimé basse pression à partir du circuit
d'air HP.
7° Installer les 2
convertisseurs de courant basse tension (1 en rechange) avec
leur armoire de contrôle pour l'alimentation des différents
éléments d'automatisation.
8° Installer le pupitre de
manœuvre à distance du moteur principal sur la passerelle de
navigation.
9° Installer un détecteur
d'incendie du type CERBERUS réclamé par les autorités maritimes
pour la détection aux 2 locaux des groupes électrogènes.
10° Installer un séparateur à
combustible à débourbage automatique.
Compte tenu des difficultés
signalées ci-dessus, nous n'avons pu, avant le départ du navire
de Lisbonne, que procéder à des essais très limités, qui ont dû
être poursuivis lors de la dernière escale d'Anvers. La mise en
service totale de cette installation interviendra au cours des
prochaines touchées du navire en Europe.
Nous pensons avoir ainsi
montré, sans doute avec quelques développements parfois longs
peut-être pour des lecteurs peu avertis, ou de façon trop
restreinte pour d'autres, ce qu'ont été les importantes
transformations que "Mélusine" a subies.
Il reste à lui souhaiter bon vent, bonne route, et qu'aux mains de son
équipage, il contribue dans une proportion encore accrue à
l'activité de notre Société.
Michel GOAEC,
Inspecteur d’Armement
Les caractéristiques nouvelles du navire seront les suivantes
:
|
Anciennes à la construction |
Avant
transformation
depuis
Novembre 1968 |
Nouvelles après transformation |
|
|
|
|
Longueur H.T. |
141,300 m |
141,300 m |
150,130 m |
Largeur |
18,600 m |
18,600 m |
18,600 m |
Tirant
d'eau (été) |
7,650 m |
8,284 m |
8,266 m |
Déplacement |
15 052 T |
17 002 T |
18 930 T |
Port en lourd |
10 932 T |
12 882 T |
14 487 T |
Poids de
coque |
4 120 T |
4 120 T |
4 443 T |
Jauge brute |
8 135 Tx |
8 135 Tx |
9 378 Tx |
Jauge nette |
4 086 Tx |
4 086 Tx |
5001 Tx |
Capacités
cales |
14 585 m3 |
14 585 m3 |
16 030 m3 |
Capacité cales + latéraux |
16 826 m3 |
16 826 m3 |
18 597 m3 |
Photos
coll. P. Le Bourch & UIM |
|