Mort d'Auguste QUIBEUF
Inspecteur général
d'armement honoraire
La mort d'Auguste
QUIBEUF crée un nouveau vide parmi les anciens de la
Société. Quelques extraits de ses souvenirs maritimes
ont déjà été donnés dans le bulletin, mais il avait vécu
tellement d'aventures, connu un si grand nombre de ports
et de navires, qu'un livre aurait pu lui être consacré
et il n'aurait pas épuisé soixante années d'activité
maritime dont plus de cinquante au service de notre
Société.
M. Charles Fourcher
retrace pour ce bulletin la vie de notre ami, depuis ses
premiers embarquements sur les cargos des Armateurs
Français ; je désire pour ma part rappeler d'anciens
souvenirs, lorsque sortant de mon service militaire avec
le grade d'enseigne de vaisseau et mon diplôme
d'ingénieur civil du Génie maritime, je dus me
familiariser avec les charbonniers dont mon père nous
parlait tellement. C'était en octobre 1935 et mon
apprentissage commença en accompagnant Auguste QUIBEUF
dans plusieurs de ses voyages.
Notre ami s'est éteint
le 5 mai, dans sa 87e année, entouré des soins
affectueux de Mme QUIBEUF.
J'ai tenu à venir
apporter personnellement, le 9 mai, à la dépouille de
notre ami le dernier adieu de la Société et accompagné
par Mlle DONON, Jean POULAIN et PORCHER, nous nous
sommes retrouvés côte à côte aux obsèques célébrées dans
la petite église de Sanvic. Le curé de la paroisse qui
connaissait bien notre ami sut trouver des paroles
d'espoir et de consolation qui venaient du cœur.
Parmi l'assistance, on
remarquait la présence de M. et Mme Marcel TACONET,
venus de Rouen, ainsi que MM. LE RHUN, actuellement
professeur d'hydrographie, et MALETRA, inspecteur de la
navigation en retraite.
Au cimetière de Sanvic,
après la dernière bénédiction du curé, j'ai prononcé ces
quelques mots devant la famille et quelques intimes :
" Je tiens à apporter
ici le témoignage de l' UNION INDUSTRIELLE ET MARITIME,
dont je suis président du Conseil de surveillance, car
je ne peux oublier que notre ami Auguste QUIBEUF s'est
mis à son service dès 1919 et ne l'a plus jamais
quittée.
" Je ne peux oublier
personnellement ce que je dois à Auguste QUIBEUF,
lorsqu'il a guidé mes premiers pas d'ingénieur à la
Compagnie, en me faisant connaître en détails les
particularités des navires charbonniers.
" Je dois faire mention
également du travail exceptionnel accompli pendant les
sombres années de la guerre, lorsqu'il a supervisé dans
la région nazairienne les réparations des remorqueurs de
l' Union des Remorqueurs de l'Océan.
" Sa compétence n'avait
d'égale que son dévouement et son amour du travail bien
fait. Sa figure était b'en connue et appréciée dans tous
les ports européens, où nos navires faisaient escale.
" Votre famille, que je
salue avec émotion, vous pleure après une longue
existence entièrement consacrée à la Marine Marchande ;
tous vos amis — et ils sont nombreux — gardent votre
souvenir gravé dans leur cœur, ils vous disent comme
moi-même adieu et merci. "
M. CANGARDEL
Président du Conseil de Surveillance de l' U.I.M.
Président de l' U.R.O.
b/U.I.M. n°69/07-1973 |
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Auguste QUIBEUF
était fier de son ascendance Viking, qui lui avait donné
dès son plus jeune âge le goût de la mer. Il embarqua
d'abord comme soutier puis successivement chauffeur,
graisseur, car à l'époque il n'y avait ni pilotins, ni
élèves ; puis se présenta à l'Ecole des Mécaniciens de
Brest et en sortit avec un excellent classement.
Désirant compléter
son instruction, il entra à l'Ecole des Scaphandriers
dont il fut breveté ; cette formation devait d'ailleurs
lui servir à maintes occasions. Il fit la campagne de
guerre au Maroc et après avoir fait partie des
compagnies de débarquement à Casablanca, Safi, etc.
fut en 1909 rendu à la vie civile.
Après un
embarquement aux " Affréteurs Réunis ", il entra au
cours et obtint son brevet d'officier mécanicien de 1re
classe et embarqua à la Compagnie Générale
Transatlantique sur le " PROVENCE " où il prit les
fonctions de chef électricien, puis sur le " HAÏTI " où
il resta quatre ans et eut en 1915 sa première
proposition pour la Légion d'honneur.
En 1918, il eut la
lourde tâche, en qualité de chef mécanicien, d'armer un
bateau en bois de 3 000 tx où il eut à vaincre beaucoup
de difficultés provenant à la fois de l'état du navire
et de l'insuffisance du personnel de l'époque.
Toutefois, dans ses
souvenirs, il était trop modeste pour faire état de sa
carrière professionnelle, et c'est pourquoi nous serions
fautifs de ne pas évoquer aussi succinctement que
possible son activité et l'ampleur de ses services à
l' U.I.M.
C'est en septembre
1919 que notre président fondateur, M. Henri CANGARDEL,
qui avait pris la direction des " Armateurs Français "
sur la recommandation de MM. Lannes et Humbert qui
l'avaient apprécié dans ses fonctions à la Compagnie
Générale Transatlantique, fait appel à M. QUIBEUF pour,
sur le plan technique, prendre la charge avec le
capitaine Lacroix, des navires qui étaient affectés aux
" Armateurs Français ".
Il fut une période
où les " Armateurs Français " eurent 46 navires à
exploiter. Les responsabilités pour Auguste QUIBEUF
étaient alors très importantes, en raison non seulement
du nombre de navires mais de leurs défauts de
construction. C'est ainsi qu'il eut à intervenir après
les naufrages corps et biens de plusieurs navires du
type " MARIE-LOUISE ".
Auguste QUIBEUF fit
partie de la Commission
Doyere avec M. DOUSSET et, à la
suite des mesures prises, ces navires n'eurent plus ni
accidents ni incidents.
En 1925, l' U.I.M. était créée, tout en assurant la
gérance des navires encore existants des " Armateurs
Français ", de nouveaux navires, tous de seconde main,
mais sélectionnés, étaient incorporés.
Pendant les années
qui précéderont la guerre de 1939, Auguste QUIBEUF,
d'abord seul, eut à mettre en service tous navires, à
les corriger, à suivre les réparations annuelles, à
faire réparer les avaries. Dans cette période en effet,
le trafic de l' U.I.M. couvrait surtout le nord de
l'Europe. Les principaux ports fréquentés étaient en
Angleterre, Cardiff et Newcastle, en Hollande Rotterdam,
en Belgique Anvers, et en France Dunkerque, Rouen,
Nantes, Bordeaux et Marseille. Il en résultait pour lui
des déplacements continuels pour assurer la mise au
point des listes de réparations, leur surveillance, les
rapports avec les chantiers de réparations ou avec les
experts des assureurs, la discussion des prix, etc.
Fort heureusement il
avait une santé de fer, une promptitude à prendre ses
décisions toujours bien pesées, et sa valeur technique,
son optimisme, son dynamisme, sans oublier sa bonne
humeur, venaient à bout des difficultés.
Il fut très heureux
lorsque M. CANGARDEL prit la décision de commander un
navire neuf aux chantiers Smith Dock à Middlesbrough, il
participa à sa conception, et ensuite à la surveillance
de sa construction, ce fut le " CAPITAINE SAINT-MARTIN "
qui devait être qualifié dans les revues anglaises de "
Best Collier in thé world ". Le navire fut livré en
1939, puis ce fut la guerre où du fait de la
mobilisation, M. QUIBEUF se trouva pratiquement seul à
assurer le département technique.
Il fut en même temps
chargé de mission, spécialement en Hollande, pour
acquérir des unités destinées à la Défense nationale.
Durant l'occupation détaché à Saint-Nazaire, il s'occupa
à l' U.R.O. des remorqueurs et de leur entretien. Il
habitait alors Severac, mais dut subir la pénible
existence en 1944 des populations de ce qu'on appelait
la " Poche de Saint-Nazaire ", il fit alors partie d'un
groupe de résistance très actif.
Dès la libération,
il reprit ses fonctions, il y avait un gros travail à
accomplir car les navires rescapés de la guerre avaient
beaucoup souffert.
En outre, il était nécessaire de remplacer les navires
perdus, des commandes furent lancées en France, au
Canada et en Angleterre sur un programme commun aux
Armateurs Charbonniers, l' U.I.M. étant chef de file pour
les navires de 5000 tonnes. Et c'est ainsi que M.
QUIBEUF eut à suivre la construction du " CAPITAINE JEAN
FOUGERE " puis du " CAPITAINE PIERRE MERIC ". Mais l'ère
de la machine à vapeur était dépassée, et les nouveaux
navires furent alors pourvus de moteurs Diesel. Ce grand
spécialiste de la vapeur et des chaudières de tout type,
s'adapta très vite à cette nouvelle catégorie
d'appareils moteurs, et sut initier les officiers
mécaniciens de l' U.I.M. à cette technique nouvelle pour
eux, et il y réussit brillamment. Le dernier navire à
vapeur incorporé à la flotte de l' U.I.M. fut le "
MAGELLAN " qui fut modernisé en remplaçant la chauffe au
charbon par la chauffe au mazout, et qui devait
s'illustrer par le transport de wagons sur les U.S.A.
sous le sigle " Merci America ". Ce navire constitue
d'ailleurs la première expérience de l' U.I.M. au long
cours.
Les années
s'écoulèrent, Auguste QUIBEUF courant d'un port à
l'autre, s'occupant non seulement des navires en service
mais aussi de tous les navires en construction.
Mais en 1961, à la
suite d'une visite sur le m/s "JACQUES D'ANGLEJAN ", il
fut immobilisé par une paralysie partielle des jambes et
renonça à toute activité, et après une vie mouvementée
et active, il dut se ménager, il s'adapta à une vie
sédentaire, soigné avec le plus grand dévouement par Mme
QUIBEUF. Il avait perdu son fils Claude, alors second
capitaine à l' U.I.M. à la suite d'une leucémie, mais ses
fils Max et Gilbert l'entourèrent de toute leur
affection.
C'est un grand serviteur de l' U.I.M. qui vient de
disparaître, il y a consacré toute son activité et nous
garderons pieusement le souvenir de cet homme
exceptionnel.
Auguste QUIBEUF
était chevalier de la Légion d'honneur et chevalier du
Mérite Maritime.
Ch. POURCHER,
Directeur honoraire.
b/U.I.M. n°69/07-1973 |
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