M. Maurice FOUGÈRE
Maurice FOUGÈRE est
décédé dans sa propriété du Limousin, le 5 février 1965.
J'aurais voulu
parler sur sa tombe au cimetière de Lesterps où il a été
inhumé. Le froid qui sévissait dans ces jours d'hiver me
l'a interdit, sur ordre de la Faculté, mais M. Maurice
LAPARRA, mon fils Maurice, M. Léon PRÉVOST et Mlle Lucie
GRUET ont représenté la Société aux obsèques.
Le Bulletin de
l' U.I.M. qui sera lu par tous nos collaborateurs d'hier
et d' aujourd'hui me permet de réaliser mon dessein. Je
rends ainsi un dernier hommage à celui qui fut pendant
quarante ans le plus fidèle des amis.
Quand je fus nommé
Directeur-Général de la Société LES ARMATEURS FRANÇAIS,
le 13 août 1919, Maurice FOUGÈRE était fonctionnaire du
COMITÉ CENTRAL DES ARMATEURS DE FRANCE. Il fut désigné
pour suivre avec moi la création de la Société qui prit
en charge une part importante des bateaux cédés par
l'Angleterre à la France en exécution de l'Accord MACLAY
,/CLEMENTEL.
Je demandai à M.
John DAL PlAZ, mon Président, de garder FOUGÈRE avec moi
pour m'aider à l'organisation de la Société dont j'avais
pris la direction. Mais la prudence et une certaine
défiance du Président vis-à-vis de la Société elle-même
ne me permirent pas de réaliser mon projet. Ce ne fut
que partie remise. Après un séjour à STRASBOURG dans une
compagnie de Navigation rhénane, FOUGÈRE vint auprès de
moi, avec Lucien CAUWES, pour s'occuper des remorqueurs
et de l' " Iroise" qui réalisait à BREST des prouesses
merveilleuses. Le Commandant MALBERT acquit dans ce
commandement dangereux la réputation du sauveteur " le
plus hardi et le plus valeureux".
A partir de ce
moment, FOUGÈRE fut mon plus proche collaborateur et le
plus dévoué.
Quand le
Gouvernement me demanda de prendre la Direction Générale
de la COMPAGNIE GÉNÉRALE TRANSATLANTIQUE, en 1931,
FOUGÈRE resta rue de Naples avec LAPARRA, POURCHER,
PEINEAU, Arthur GILLET et Mlle Lucie GRUET.
Ma mission qui
devait être temporaire dura 13 ans. Pendant mon absence,
FOUGÈRE fut ce qu'il était toujours, le plus sûr el le
meilleur des amis.
Quand je repris ma
place dans ce grand bureau de la rue de Naples, que
FOUGÈRE avait voulu laisser vacant, l' U.l.M. avait déjà
lancé un bateau commandé en Angleterre et qui s'appela
le " CAPITAINE SAINT MARTIN ". Je repris ainsi avec
FOUGÈRE l'amicale et confiante collaboration qui devait
se continuer Après quelques années sans incidents,
FOUGÈRE subit de dures épreuves de santé et des
opérations dangereuses. Elles n'entamèrent pas son
courage, mais nous comprimes bientôt qu'il ne pourrait
plus venir nous voir régulièrement. Après l'amputation
d'une jambe il se retira " aux Granges", à LESTERPS, où
il devait mourir.
Je remplis
aujourd'hui le plus douloureux des devoirs. Les qualités
morales de notre excellent ami étaient exceptionnelles. ll était la droiture même ; la collaboration avec
ses Chefs ne pouvait être basée que sur une franchise
totale.
Ces qualités, je les
ai appréciées au cours de mes longues années de travail
avec Maurice FOUGÈRE. Il obéissait en toutes choses au "
Devoir". Personne ne fut plus fidèle et plus droit que
lui.
Je rappelle ici ses
services pendant la guerre de 1914-1918 ; ils lui ont
valu la Médaille Militaire et des citations à l'Ordre de
l'Armée ; il n'en parlait jamais, par modestie. FOUGÈRE
était Officier de la Légion d'Honneur.
Maurice FOUGÈRE dut
faire preuve d'un autre courage : celui qu'exigé la vie
quotidienne et les souffrances qu'elle apporte avec
elle.
Il subit pendant les
dernières années de son existence des malheurs tels
qu'ils auraient pu altérer, dans une âme moins bien
trempée, la résignation basée sur sa croyance profonde
en Dieu.
Il avait perdu, à la
fin de la dernière guerre, son fils aîné dont il était
justement fier et qui, officier de carrière, ne
connaissait lui aussi que son devoir. Au cours d'un des
derniers combats qui furent livrés à la frontière
allemande, le Capitaine Jean FOUGÈRE fut tué à l'ennemi
alors qu'il était à la tête de ses soldats.
Son beau-frère, Marc
de la BARDONNIE subit le même destin ; il est mort des
suites de la guerre, à 30 ans, laissant une veuve, fille
aînée de notre ami, et une petite fille.
Madame Maurice
FOUGÈRE, dont les qualités intellectuelles et morales
étaient héritées de son père, M. de ROUSIERS, est
décédée après la perte de son fils et de son gendre,
laissant notre ami FOUGÈRE veuf. Il eut, dans son
malheur, la consolation de l'affection attentive de ses
deux filles : l'aînée, veuve de M. DE LA BARDONNIE, la
seconde, épouse de M. LE SUEUR, et mère de quatre
enfants.
Tel fut le destin de
celui que nous pleurons aujourd'hui : une vie dominée
par une foi profonde, traversée de joies familiales et
de grands malheurs.
Ce court message ne
dit qu'imparfaitement ce que fut la vie de Maurice
FOUGÈRE, inspirée par le culte de l'amitié et par une
conception intransigeante du Devoir.
J'écris ces lignes
avec émotion. Je veux que nos Collaborateurs de tout
rang, anciens ou nouveaux, jeunes ou vieux, sachent
qu'ils ont eu auprès de moi, à la tête de nos Services,
un homme digne d'admiration. Pour lui, le travail
acharné n'avait pas pour but essentiel l'intérêt, mais
une satisfaction de la conscience.
Aujourd'hui disparu, le nom de Maurice FOUGÈRE restera
parmi nous comme un grand souvenir et un exemple.
Henri CANGARDEL
Président-Directeur-Général de
INDUSTRIELLE ET MARITIME
b/U.I.M. n°42/05-1965 |