Union Industrielle & Maritime |
De monsieur Jean BILLARD (G.M. 1923) Président de la Société Amicale du Génie Maritime
Te
soutiens-tu, mon vieux camarade, de ce lycée Henri-IV où, dès les petites
classes, nous avions lié connaissance ?
La vaste place du Panthéon, les murs et la tour Clovis de l'ancienne abbaye nous
parlaient des générations passées. Plusieurs de nos maîtres venaient encore
professer en redingote et le rude montagnard du Jura chargé de la classe de
septième, n'avait pas renoncé à l'usage de la férule : ce siècle venait
seulement de débuter.
D'année en année, ton application de bon élève et ta gentillesse ne se sont pas démenties. Mais les images surgies plus tard dans la rencontre de nos yeux disaient surtout nos vagabondages dans le quartier de la Montagne Sainte-Geneviève.
Les jeunes garçons de notre temps portaient des culottes courtes jusqu'aux approches de la classe de seconde. La mienne s'arrêtait au-dessus des genoux. La tienne t'enveloppait davantage, serrée au mollet par la boucle d'une patte de même étoffe. Tu défiais ainsi, mieux que moi, les morsures de l'hiver. J'en avais formulé la remarque à ma mère. Elle m'avait objecté que, s'il t'arrivait de tomber, les genoux de ta culotte risqueraient fort d'être déchirés. Et cette réponse avait hélas été définitive.
Sortant de classe à 16 h 30, nous nous aventurions volontiers dans les rues étroites du quartier, parfois arrêtés par un troupeau de chèvres que son pasteur, coiffé d'un béret et soufflant dans un pipeau, menait à la rencontre de passants friands, quant à eux, d'un lait tiède et odorant. Nous entrions dans l'échoppe du " marchand d'habits " de la rue de la Montagne, comme intéressés par le prix d'un veston de velours à côtes, mais dans l'attente de sa question chargée de sens " pour vendre ou pour acheter "? Et les soirs de grand froid, nous tendions une pièce en bronze de deux sous au marchand de marrons dont le chaudron occupait l'angle de la rue des Ecoles, ébahis par l'endurance de ses mains calleuses, promptes à ramasser les châtaignes sur la tôle brûlante pour en emplir un petit sac de papier journal.
Au
retour du printemps, la douceur de l'air et l'allongement des jours nous
offraient une autre tentation. Le large et long trottoir qui borde la façade de
la bibliothèque Sainte-Geneviève se prêtait au jeu de la balle au pied. Deux
équipes s'y affrontaient auxquelles nous nous joignions, soucieux toutefois de
nous trouver dans le même camp.
Cette dernière heure de jeu déplaisait pourtant à nos parents. Les miens
craignaient qu'emporté par l'ardeur de la compétition, j'aille courir après la
balle jusque sur la chaussée, sans prendre garde à la circulation. Et de fait,
peut-être une fois l'heure, un fiacre se hasardait sur cette partie de la place
du Panthéon !
Aussi,
quand les cinq coups de l'heure sonnaient à la tour Clovis, prenions-nous le pas
de course pour rentrer chez nous, harcelés par le désir que notre retard fût
jugé tolérable. La forte pente des rues de la Montagne nous y aidait.
Un demi-siècle s'était écoulé, mon cher POURCHER, quand nous nous sommes
retrouvés aux réunions de Conseil de la Société Amicale du Génie Maritime, après
une longue séparation imputable aux divergences de nos carrières. Notre amitié
de jeunesse revivait dans la chaleur de nos regards et dans la mutuelle
confiance que nous nous accordions lors des débats du Conseil.
b/U.I.M. n°79/01-1976