Henri Cangardel

 

 

M. Edmond LANIER

 

Le Président Henri Cangardel nous a quittés après une longue vie sans reproche, faite tout entière de labeur, de création et de modestie.

A votre chagrin, mon cher Maurice, mon cher Pierre-Edouard, chère Cécile, chère Gisèle, chère Mademoiselle Donon, au chagrin de votre famille et de votre Entreprise, je veux associer ma peine et celle de la Compagnie Générale Transatlantique. Elle fut aussi sa famille et son Entreprise pendant les quatorze années qu'il lui consacra.

Dans sa longue carrière de cinquante ans d'armateur, ces quatorze années ne furent, peut-être qu'un intermède. De son propre aveu, il n'en vécut pas de plus difficiles, ni de plus exaltantes.

Lorsqu'il est appelé rue Auber, en août 1931, par une décision du Gouvernement, Henri Cangardel est déjà riche d'une large expérience des affaires maritimes. Il l'a acquise — alors que rien dans ses origines terriennes et familiales ne le destinait à courir l'aventure maritime — au gré des postes qu'il occupe dans l'Administration de l'Inscription Maritime, de 1902 à 1919, à Marseille, Brest, Bordeaux, Alger, Narbonne et Royan; mais aussi à la faveur des missions qu'il remplit auprès d'hommes éminents tels qu'Anatole de Monzie, l'Amiral Lacaze, le Général Lyautey, André Tard/eu, qui, tous, découvrant ses qualités exceptionnelles, se l'attachent et en font leur collaborateur ; il l'a acquise aussi, et surtout, par lui-même, lorsqu'il accepte la difficile mission en 1919, après avoir quitté l'Administration, de prendre la direction des Armateurs Français, Société chargée de liquider des navires acquis par l'Etat dont personne ne veut et que, lui, réussira à exploiter.

Ce ne sera pas sans appréhension qu'il s'attaque à la réorganisation de la Compagnie Générale Transatlantique. Il en mesure la complexité et il en accepte les risques..., mais, en homme qui aime la lutte, il va s'y donner entièrement et mettre au service d'une cause difficile et dans une conjoncture de crise, que nous avons peine à imaginer aujourd'hui, les ressources d'une intelligence, d'une habileté et d'une capacité de travail peu communes.
Ceux de ma génération qui eurent le privilège de collaborer à cette œuvre — ils ne sont plus qu'une poignée maintenant autour de moi, à la Compagnie — en conservant un impérissable souvenir. Ils y ont appris et mesuré ce que peut être l'ascendant d'un esprit débordant d'imagination, d'intuition, d'enthousiasme et animé par un cœur d'une générosité et d'une chaleur inépuisables. Avec lui, le travail est un perpétuel renouvellement ; il faut sans cesse se surpasser pour arriver à le suivre, tant les idées jaillissent, tant les projets foisonnent. C'est une tension constante pour ceux qui s'efforcent de les recueillir et de les mettre en forme. Mais quel sentiment d'enrichissement ils éprouvent à son contact et quelle fierté de pouvoir lire dans son regard, si clair, si droit, qu'on a été compris, que la confiance et l'estime vous sont accordées.

Dans les circonstances, parfois tragiques, que va connaître la Compagnie, il a tôt fait de conquérir et d'entraîner un personnel qui n'a connu la Compagnie Générale Transatlantique que solide et prospère et qui ressent avec chagrin les coups que lui assènent injustement la presse, l'opinion publique et une partie du Parlement. Dominant la tourmente de sa haute stature, il défend avec acharnement le patrimoine de la Compagnie, s'oppose au démantèlement des lignes, convaincu de la valeur du matériel, du dévouement des hommes et des chances que l'avenir réserve encore au Pavillon.

Réalisation d'économies rigoureuses, maintien des services traditionnels, intensification de l'activité commerciale, développement dans le personnel et dans l'opinion publique d'un sentiment de confiance dans la vitalité de l'Entreprise, tels sont les buts qu'Henri Cangardel va poursuivre avec succès.

S'il manie avec énergie, mais non sans humanité l'arme des compressions de dépenses, s'il débarrasse la flotte de toutes ses unités vieillies et inutilisables en temps de crise, il prouve, en même temps, que ces opérations de nettoyage sont un rajeunissement et non un abandon puisque, au paroxysme de la crise, il n'hésite pas à procéder à une refonte des emménagements d' « Ile-de-France », à une augmentation des capacités frigorifiques de nombreux cargos et à la mise sur cale du prestigieux « Normandie », dont il se fit, toujours contre vents et marées, l'ardent défenseur et qui trouvera, dans le triomphal succès remporté par le paquebot, la meilleure justification de sa politique.

Enfin, avec une rare audace, il construisait, avec « Ville-d'Alger » et « Ville-d'Oran », le nouvel avenir des lignes de la Méditerranée et, surtout, il jetait les fondations du trafic bananier, qui devait aboutir, en quelques années, à enrichir la Compagnie de l'un des éléments essentiels et les plus prospères de son fonds de commerce. Il n'a pas tenu à lui que la Compagnie Générale Transatlantique ne devint aussi titulaire d'un patrimoine aérien. Ce fut sous son impulsion, en effet, que la Compagnie Transatlantique et Air-France s'étaient unies, dès 1937, pour créer la Société aérienne chargée des lignes de l'Atlantique Nord.

Lorsque éclate, en 1939, la seconde guerre mondiale, les résultats de la Compagnie ont, dès lors et déjà, fait apparaître un bénéfice tel qu'il permet d'effacer les dernières pertes reportées et tous les amortissements différés. Seule la guerre lui interdit de consolider et d'exploiter pleinement le résultat de ses efforts et d'en récolter les fruits.

De 1939 à 1945, en proie aux pires difficultés, subissant les plus durs assauts, il partagera les malheurs du pays, de la défaite à l'occupation, assistant, impuissant à la destruction de la flotte, à la paralysie progressive de l'exploitation.

Du moins, trouvera-t-il, dans cette adversité, l'occasion de déployer les ressources d'une charité et d'une générosité au bénéfice de tous ceux que la guerre éprouvera. Son action en faveur des combattants et des prisonniers, pour discrète et silencieuse qu'elle fut, force l'admiration de ceux qui savent... et se souviennent !
Les circonstances ont voulu qu'il soit écarté, non sans injustice, de la présidence d'une Compagnie à laquelle il s'était identifié pendant quatorze ans, à laquelle il avait donné le meilleur de lui-même, et où ses collaborateurs étaient traités comme les membres de sa famille.

D'autres voix, plus autorisées que la mienne, diront quel réconfort il trouva en reprenant sa place dans cette U.I.M. qu'il avait créée dès 1925. Je veux, cependant, me souvenir de ses joies et de ses peines et de la plus cruelle d'entre-elles, qui l'a privé, à l'heure où il en aurait eu tant besoin, du secours de celle qui fut la compagne admirable et fidèle de toute sa vie.

Quant à nous, qui nous honorons d'avoir été ses collaborateurs, ses témoins, ou, plus simplement, ses enfants, nous nous souviendrons du grand honnête homme, dont la vivacité, le sourire accueillant, la bonté secrète et agissante, cachaient une profonde pudeur de soi. Nous nous souviendrons de son désintéressement, de sa générosité, de la spontanéité avec laquelle il a su distribuer autour de lui ce que d'autres ont appelé, bien plus tard, « la participation ».

Nous n'oublierons jamais la puissance de l'imagination, la rectitude du jugement, l'oubli constant de soi, et nous garderons la certitude d'avoir connu, aimé et admiré, l'un de ces êtres par lesquels les autres vivent.

 

Edmond LANIER,

Président de la Compagnie Générale Transatlantique.

 

 

Source B-60, avril 1971.

 

Remonter ] [ Monsieur Henri Cangardel - les obsèques _ Edmond Lanier ] Monsieur Henri Cangardel - les obsèques _ Jean de Lanauze ] Monsieur Henri Cangardel - les obsèques _ Mgr Derumaux ]

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