Reportage photographique effectué en juillet 1961 dans le but d'étudier la possibilité d'envoyer les navires U.I.M. sur cette destination.
VOIE MARITIME DU SAINT-LAURENT, P.E. CANGARDEL Les Anglais l'appellent « Sea-Way ». Les Canadiens Français, qui répugnent, par une émouvante fidélité à l'emploi des mots anglais, l'appellent « Voie Maritime du Saint-Laurent ». Il s'agit de ces travaux très importants, entrepris sur l'initiative du Gouvernement canadien et après de longues hésitations des autorités américaines, pour relier les grands lacs à Montréal et à la mer et ouvrir ainsi à la navigation internationale des villes comme Chicago ou Duluth. Inaugurée par la Reine d'Angleterre et le Président Eisenhower en juin 1959, la Voie Maritime commence à se roder : les encombrements rencontrés par les navires au passage de certaines écluses, les nombreux accidents de navigation qui avaient marqué l'utilisation de cette Voie l'année dernière, ont nettement diminué cette année. Il faut dire que, autant pour les bateaux des grands lacs habitués à ce trafic, que pour les navires de mer — les Américains les appellent « salties » — les règles spéciales de la navigation sur les grands lacs et le Haut Saint-Laurent, les différences de conception dans les navires — les navires des grands lacs ayant la passerelle sur le gaillard — le manque d'expérience des nouveaux pilotes de la Voie Maritime, entraînèrent en 1959 de graves incidents et une certaine désaffection envers cette voie nouvelle. J'ai voulu profiter de vacances au Canada pour faire, personnellement, le voyage et, grâce à des amis armateurs, j'ai pu utiliser une de leurs très belles unités reliant régulièrement les grands lacs à l'Italie. Avant d'embarquer à Toronto, le jeudi 21 juillet, je m'étais rendu, en voiture, au canal Welland qui réunit le lac Érié au lac Ontario en évitant les fameuses chutes du Niagara. Ce canal Welland est remarquable par trois écluses doubles, successives, la porte aval de l'une servant de porte amont à l'écluse inférieure. Plus haut, la navigation n'est arrêtée par aucune écluse, sauf pour les navires allant vers le lac Supérieur et passant par le Sault-Sainte-Marie, trop loin pour que je puisse m'y rendre.
Le canal du Welland, 21 juillet 1961.
Trajet Toronto - Montréal,
Après une traversée sans difficulté du lac Ontario, nous prenons un pilote à Alexandria le matin du 22 Juillet. Une navigation charmante, au milieu des Mille Iles commence ; ce sont des petits rochers de toutes tailles, quelques uns guère plus grands que la maison qu'ils supportent ; de ravissantes villas, des cottages et même de faux « burgs » du Rhin. Si l'heure n'était pas aussi matinale, nous naviguerions au milieu des navires de plaisance, voiliers et chris-craft, des skieurs nautiques et des nageurs. De temps en temps, nous croisons un navire qui remonte vers les grands lacs, croisement délicat, car les draguages pour amener le chenal à 27 pieds ont été faits au minimum.
Vers 10 heures, avec un petit vent frais de l'arrière, nous mouillons en attente des ordres du chef de l'écluse d'Iroquois, premier barrage sur la descente de la Voie Maritime. Le vent, allié au courant, rend l'entrée dans l'écluse difficile et il faut attendre. Vers 16 heures, embellie, nous appareillons et, pour la première fois, j'assiste à l'opération délicate de l'accostage au quai d'attente et de l'entrée dans l'écluse. Deux matelots, sur une échelle de corde amarrée à un tangon d'une dizaine de mètres, descendent sur le quai dès que le navire s'en est approché suffisamment ; de là, ils reçoivent les toulines et amarrent le navire jusqu'au moment où le feu vert de l'écluse nous permet d'y entrer et, une fois amarré, de descendre rapidement les 15 mètres qui nous séparent du bief suivant. En fait, pour l'écluse Iroquois, simple barrage de régularisation, la différence de niveau est très faible, à peine un mètre, l'intérêt du barrage n'apparaît donc guère qu'en période de crue.
Puis, dans la nuit qui tombe, nous traversons assez facilement l'écluse Eisenhower et l'écluse Snell, les deux seules situées sur le territoire américain. De nombreux touristes assistent à l'opération d'éclusage faite en quelques minutes, le navire descendant à vue d'œil le long des parois en ciment brut où les treuils automatiques d'amarrage jouent un grand rôle. Le vent fraîchissant à nouveau, nous mouillons dans le lac Saint-François avant d'entamer le canal de Beauharnois. Au petit jour, il fait beau. Le chef d'écluse de Beauharnois supérieur — car deux écluses se succèdent à moins d'un mille — nous donne l'ordre d'appareiller et le long d'un chenal étroit de plusieurs milles, qui réunit le lac Saint-François à l'écluse nous descendons à toute petite vitesse. Trois nœuds semble-t-il. A peine plus vite que le courant qui est attiré par le barrage hydraulique de Beauharnois. Nous passons deux ponts qui s'ouvrent juste devant nous, car il s'agit de ponts mixtes, chemin de fer et route et il ne doit pas être toujours facile d'arrêter à l'improviste un train rapide.
Accostage difficile, car il y a beaucoup de courant sous le quai du poste d'attente pourtant rembourré de plaques de caoutchouc. Ensuite, sans incident, nous passons les deux écluses de Beauharnois et, dans la majesté d'une belle journée canadienne, nous découvrons au loin l'île de Montréal à travers le pont Honore-Mercier qui a été spécialement rehaussé pour laisser le passage aux navires. Sur la droite, la réserve indienne de Caughnawaga, partiellement inondée par les travaux, ce qui entraîna un certain nombre de difficultés avec les « Sages » de la tribu. Le calumet de la paix ne brûlait pas ; par un traité très ancien conclu avec l'autorité occupante, les indiens renonçaient à un certain nombre de droits mais gardaient la propriété inaliénable de leur réserve. On ne peut reprocher aux négociateurs du XVIIIe siècle de n'avoir pas pensé à la Voie Maritime ! Un canal longe maintenant le Saint-Laurent où sévissent les rapides de Lachine dont l'énergie n'est pas encore maîtrisée par un des barrages prévus, les détails de Montréal se précisent, c'est l'écluse de la Côte-Sainte-Catherine puis celle de Saint-Lambert. Le pilote de la voie maritime nous lâche, celui du port de Montréal vient prendre la relève et le samedi après-midi nous sommes accostés dans le port de Montréal à l'abri des grands silos à grains. Ce voyage de quarante-huit heures a été passionnant car il montre à la fois la grandeur de l'œuvre entreprise et les difficultés réelles que rencontrent encore les navires de mer aptes à toutes les navigations mais inexpérimentés devant les conditions très particulières du Sea-Way. Sans doute bientôt, des navires de l'U.I.M. utiliseront cette Voie Maritime : trop de cargaisons attendent les navires de mer dans ces ports intérieurs des grands lacs pour que nous n'y allions pas. Je suivrai par la pensée chacune des traversées qui sera faite, en ayant vécu moi-même toutes les difficultés et ayant éprouvé toute la joie que donne la réussite d'un passage difficile.
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