Union Industrielle et Maritime

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Le naufrage du "Capitaine Louis MALBERT"

Le 30 décembre 1963, à 1 h du matin, au large de la côte de Suède dans le Kattegat, par une nuit brumeuse, le "Capitaine Louis Malbert" était abordé sur bâbord dans la cale II par le pétrolier danois "Rosborg". Pendant près de trois heures, aussi vite que le permettait une machine progressivement envahie par l'eau, le Commandant HUET dirigeait son navire vers un banc de sable, à travers les champs de mine de la dernière guerre, afin de l'échouer et de tenter son sauvetage éventuel. Entouré du Chef-Mécanicien et de deux autres officiers, de l'Officier radio et de huit hommes d'équipage, s'étant séparé de tous ceux qui ne lui paraissaient pas indispensables au sauvetage du navire, le Commandant fit tout pour sauver l'unité qui lui était confiée. Vers 3 h 45, le navire s'enfonçait de plus en plus par l'avant et finalement se cassait ; cinq hommes seulement furent sauvés, huit périrent, saisis de congestion par la température glaciale de l'eau.

Nous voulons dans ces premières pages du Bulletin U.I.M. dire combien nous sommes tous profondément bouleversés par la disparition de ces huit marins, restés jusqu'au bout à bord de leur navire pour essayer de le sauver.

Le "Capitaine Louis Malbert" était depuis quatorze ans dans notre flotte ; c'était un bon bateau ; notre Société avait eu de si longues années de navigation heureuse que nous pensions avoir la "baraka" — cette protection de la chance d'après les arabes — pour nos équipages et nos navires.

Cette catastrophe nous rappelle que la marine garde toujours ses servitudes et ses risques et que, malgré tous les efforts entrepris par les techniciens, une sécurité complète ne peut être obtenue pour protéger les hommes et les navires. Et nous sentons encore plus aujourd'hui que les choses, même aussi vivantes qu'un navire, peuvent se remplacer et que seuls les hommes comptent ; nous évoquerons cependant avant de décrire les détails héroïques de cette nuit du 30 décembre, ce que fût ce navire qui gît maintenant par 40 mètres de fond dans le Kattegat.

Commandé par nous peu après la fin de la guerre, aux CHANTIERS DE PICKERSGILL, à Sunderland, en Angleterre, le "Capitaine Louis Malbert" fut le premier charbonnier moderne d'après guerre conçu par nos Ingénieurs, les navires précédents étant des copies des navires de 1939, "Capitaine Saint Martin" ou "Paul de Rousiers". Il a transporté des centaines de milliers de tonnes de charbon, de minerais et de phosphates à travers les mers européennes, de la Baltique à la Méditerranée et a même, pendant un an, transporté du charbon américain sur Bayonne. C'était surtout le spécialiste des colis lourds et encombrants, grâce aux deux grandes plages qui entouraient son château central ; il transporta des grues flottantes de 250 tonnes, des wagons-lits et même des colonnes de raffinerie de 30 mètres.

Celui qui lui donna son nom, Louis MALBERT était de Saint-QUAY PORTRIEUX ; après avoir été formé à la rude école des Cap Horniers, il devint le Commandant de l' "Iroise", remorqueur de sauvetage à Brest. Avec ce bâtiment, armé sous les couleurs d'une société du groupe : L'UNION FRANÇAISE MARITIME, MALBERT secourut de nombreux navires en difficulté au large de Brest, et s'il ne ramena pas toujours les bateaux, il sauva de nombreux équipages qui auraient péri sans lui. Il est triste de penser que le navire qui portait son nom a coulé en entraînant huit hommes qui voulaient le sauver malgré tout. Nous avons l'impression que notre vieil ami est ainsi mort une deuxième fois.

Nous avons reçu, lors de ces très pénibles moments, d'innombrables témoignages de sympathie et d'amitié. Leur langage nous montrent par leur sincérité sans équivoque, la part prise à la douleur des familles et à notre tristesse. Ce drame, par l'héroïsme simple de ceux qui l'ont dominé et y ont laissé leur vie, dépasse le cadre de notre Maison et touche tous ceux qui aiment la mer. Le sacrifice du Commandant HUET a pris d'ailleurs sa vraie grandeur dans les paroles de l'Abbé GOURVES, de l'Aumônerie de la Marine Marchande, prononcées le 10 janvier à l'Église St Augustin, lors de la messe dite à la mémoire des disparus.

Nous voulons, par ces quelques pages de notre Bulletin, montrer combien nous nous associons tous au drame héroïque de cette nuit du 30 décembre 1963.

La fin du Navire

Ce récit du naufrage du "Capitaine Louis Malbert" a été établi d'après les renseignements que nous avons pu recueillir des rescapés lors de leur passage à PARIS.

Nous avons volontairement supprimé les informations concernant les événements qui ont précédé la collision car cet accident aura les suites judiciaires qu'il comporte.

Dans la presse, des dépêches d'origine danoise ne faisant connaître qu'une version tendancieuse de l'abordage, ont pu faire croire à de nombreux lecteurs de quotidiens régionaux ou même de la presse maritime française spécialisée, que le navire danois était à l'abri de tout blâme et que seul notre navire était responsable.

Nous ne voulons pas engager de polémique sur ce point ; les juges chargés d'étudier l'affaire feront apparaître la verité, qui n'est sûrement pas celle des dépêches Scandinaves.

Nous avons voulu surtout, dans ce compte rendu, souligner la conduite exemplaire de tous ceux qui sont restés jusqu'au bout autour de leur Commandant et qui ont tout fait pour sauver leur navire.

Le "Capitaine Louis Malbert" avait quitté Hartlepool (côte Est de l'Angleterre) le 27 décembre 1963 à 23 h avec une cargaison de 5.000 t de charbon à destination de AARHUS (Danemark). Le Commandant était Joseph HUET, âgé de 52 ans, ayant 17 ans de présence à l'U.I.M. dont 8 de commandement.

Le 29 décembre, le quart est assuré de 20 h à 24 h par le Second Capitaine ; le temps est blanc, mais la visibilité est toujours supérieure à 2 milles. Par suite d'une fuite, le foyer, d'une des deux chaudières est éteint, et la vitesse du navire est ainsi limitée aux environs de 8 nœuds.

A minuit, lorsque le Second passe le quart au deuxième Lieutenant, le navire est engagé dans le Kattegat et suit les routes NEMED c'est-à-dire des chenaux dragués au milieu des champs de mine de la guerre 39-45. Le Lieutenant au radar estime sa position à 9 milles du bateau-feu "Anholt" ; ayant observé un navire contrebordier, l'Officier de quart fait venir le "Capitaine Louis Malbert" sur la droite ; d'ailleurs le Commandant HUET, qui dort mal et sent la boucaille, se trouve maintenant sur la passerelle.

Peu avant 1 h le matelot de veille GRUEL, sur l'aileron passerelle aperçoit, sortant du brouillard, les feux du navire qui coupe la route du "Malbert". Le Commandant fait mettre la barre à tribord toute, en signalant sa manœuvre au sifflet. Le navire adverse est trop proche : le "Capitaine Louis Malbert" est abordé par le pétrolier danois "Rosborg", sur l'arrière de la cale II. L'étrave du pétrolier s'enfonce profondément dans le flanc bâbord du navire qui, sous cette poussée, prend une gîte violente sur tribord.

Un court moment d'affolement règne alors ; des hommes qui dormaient tombent de leur couchette ; l'effroyable fracas de la collision fait monter sur le pont ceux qui n'étaient pas de quart. Certains, au signal de rassemblement aux postes d'embarcations, profitent de l'étrave du "Rosborg" qui est encore enfoncée dans la passerelle du "Malbert" pour y monter. La plupart attendent l'ordre d'abandon, pendant qu'avec calme le Commandant HUET est descendu dans sa chambre y prendre les documents et la caisse du bord, qu'il glisse à l'intérieur de sa ceinture de sauvetage.

Pendant que l'on prépare la chaloupe tribord, dont les bossoirs sont intacts alors que ceux de bâbord ont été écrasés sur le pont par le "Rosborg", qui s'éloigne du "Malbert", le Commandant fait envoyer par la radio un message de détresse, annonçant la collision avec un navire inconnu à 7 milles au nord d'ANHOLT. Puis, voyant que la machine continue à tourner et malgré la brèche énorme de la cale II, il décide d'essayer d'échouer le navire sur le banc de MILDEGRUND, à quelques milles de là.

La chaloupe tribord est en même temps descendue quoique le navire continue à avancer. Neuf hommes y ont pris place : la vitesse du "Malbert" amène la rupture du filin qui la retenait au navire. Ces hommes seront recueillis peu après par le chalutier soviétique "Primorsk", qui les débarquera dans la soirée à COPENHAGUE vers 21 h.

Vers 2 h le Commandant HUET avise le Commandant du "Rosborg" que l'embarcation, qui venait d'être mise à l'eau, avait rompu ses amarres et lui demande de faire son possible pour la récupérer. Le "Rosborg" répond qu'il s'en occupe. Le navire fait toujours route sur MIDELGRUND ; le Chef-Mécanicien ROCHARD aide le Commandant de son mieux en prenant les relevés du DECCA Navigator, mais les indications sont douteuses et l'on s'aperçoit que l'antenne de cet appareil a été détériorée par l'étrave du "Rosborg". Le Radio s'occupe du sondeur, mais les fonds restent constants entre 40 et 50 m, alors qu'ils auraient du diminuer.

Le navire prend de la gîte ; il se trouve seul, le "Rosborg" ne le suivant plus et paraissant gêné par un brouillard très épais. Vers 2 h 40 le Commandant envoie un nouvel S.O.S. demandant que des navires puissent rester près de lui et donne sa position à 3 milles environ du banc. La station radio de GOTEBORG communique que plusieurs navires sont en route vers cette position. Al h 52, un navire croit les voir et demande que le "Malbert" envoie des fusées pour être mieux repéré. Le "Rosborg", sur un nouvel S.O.S. du Commandant, qui se rend compte que la situation est désespérée, demande au "Malbert" d'allumer toutes les lumières du bord, d'envoyer des fusées et de siffler continuellement ; le "Malbert" s'exécute aussitôt, mais le "Rosborg" ne voit rien.

Pendant ce temps, le Bosco et les matelots restant à bord coupent à la hache les garants en fil d'acier de l'embarcation bâbord puisqu'elle ne peut être mise à l'eau par les bossoirs. Dans la machine, l'eau qui s'infiltre par la cloison des soutes, monte lentement ; l'Officier de quart, M. GEORGES, quitte alors son poste.

Vers 3 h 35, le Commandant HUET demande au "Rosborg" qu'il pense être tout près, de venir le long du bord avec une embarcation de sauvetage pour prendre quelques hommes. Il ne veut pas encore évacuer le navire, mais souhaite diminuer le nombre de ceux qui restent près de lui. Le "Rosborg" met alors ses deux embarcations à l'eau ; elles ne trouvèrent pas le navire, le moteur de l'une refuse d'ailleurs de partir ; elles disparurent même pendant une partie de la nuit augmentant ensuite la confusion des navires sauveteurs, qui crurent retrouver des marins du "Malbert" quand ils les repérèrent.

Le "Malbert" est toujours en route ; la gîte augmente.

Le Commandant envoie un radio en l'air demandant à tous les navires se trouvant dans les parages de s'approcher car il craint de couler. La dynamo se trouve noyée par l'eau qui monte dans la machine. L'émetteur de secours sur accus est le seul lien désormais avec les navires voisins, mais toujours invisibles.

Vers 3 h 45, le navire prend de plus en plus de gîte, et le dernier message du Commandant est :

 «SOS de FNVB - WE SINK - WE SINK»

Les douze officiers et hommes qui sont restés près de leur Commandant sont tous rassemblés sur l'aileron tribord de la passerelle ; M. HUET leur ordonne alors d'évacuer le navire en se jetant à la mer, l'embarcation bâbord n'ayant pu être mise à l'eau comme on l'espérait. Tout ce qui flotte est jeté par dessus bord ; lorsque le Commandant, qui est le dernier à quitter son navire, atteint la coursive tribord extérieure, la gîte est si grande que cette coursive est dé]à dans l'eau. L'eau est glacée, 2 degrés environ. Les hommes s'éloignent en nageant du navire qui coule en paraissant se casser, l'arrière s'enfonçant verticalement. Six d'entre eux atteignent l'embarcation bâbord qui s'est décrochée lorsque le navire a coulé, mais elle flotte à l'envers. Cinq réussissent à grimper dessus, mais le Chef-Mécanicien ROCHARD, sans doute saisi par la congestion, n'a plus la force de monter, il reste accroché un moment à la main du 3e Mécanicien GUILLOU, puis perd connaissance et son corps part à la dérive.

Le Radio BRUNA, debout sur cette embarcation à laquelle s'accrochent ses quatre camarades, fait des signaux avec une lampe torche ordinaire qui fonctionne malgré son séjour dans l'eau. Il est impossible d'aller rechercher les autres survivants que l'on entend crier un moment dans l'eau glacée, il n'y a plus d'avirons sur cette embarcation retournée...

Deux heures après que le "Malbert" eût coulé, un navire suédois le "Gapern", aperçoit les signaux et recueille les cinq survivants à son bord. Leurs vêtements sont tellement gelés qu'on ne peut les leur enlever et que l'on doit les couper au couteau. Malgré des recherches du Commandant suédois, pas un des huit autres marins n'est aperçu. Deux corps sont partis à la dérive et six d'entre eux ont été retrouvés dans la Journée par un navire allemand qui les débarquera dans un port suédois.

Au bout de sept heures de recherches, le Commandant du "Gapern" fait route sur le port suédois de MALSINGBORG pour y débarquer les cinq survivants de cette épopée. Ils sont restés jusqu'au bout, n'abandonnant le navire que lorsque tout espoir fut complètement perdu. S'ils ont été plus heureux que les huit victimes de cette tragédie, leur nom doit être connu, car ils ont montré les mêmes qualités de courage et de discipline. Ce sont :

MM. Michel BRUNA, Officier radio ; Yves COSQUER, Maître d'Équipage ; Albert GELARDON, Garçon de carré ; Michel GUILLOU, Officier Mécanicien et Charles LANDRIN, Graisseur.

Qu'ils sachent que pendant cette longue nuit ils ont écrit, comme leur camarades victimes de ce naufrage, une page d'héroïsme dont la Marine Marchande française peut être fière.

b/uim-38/1964

LES VICTIMES

 quelques rescapés à bord du "Primorsk"


col. b/uim

La Presse : L'Aurore

Il aura fallu... ...13 ans !

30 décembre 1963 ! Triste date ; il y a treize ans sombrait en mer Baltique le navire « Capitaine-Louis-Malbert », après un abordage avec le pétrolier danois « Roseborg ».

C'est seulement début janvier 1976 que nous avons vu ce dossier se refermer. Tout l'UIM déplore que cette douloureuse affaire ait mis tant de temps à se solder. Que d'années pour obtenir que les veuves et les ayants droit des victimes, au nombre de huit, arrivent à percevoir l'indemnité des assureurs anglais du navire danois, qui devait leur revenir.

Mais, pourquoi un si long délai ? Parce que l'affaire a été portée devant la Cour de l'Amirauté à Londres, pour jugement sur les responsabilités.

Nous serions tentés d'accuser la Cour anglaise du lent dénouement financier de cette affaire. Cette première réflexion n'est pas tout à fait inexacte, mais il faut néanmoins souligner que les indemnités reçues des Anglais ne constituent pas un capital-décès au sens de la législation en vigueur depuis 1969. Cependant, il est à noter que celles-ci viennent en complément d'un secours-décès et des pensions versées par l'E.N.I.M., et n'auraient pas été allouées selon le strict Droit français.

Par contre il ne fait pas de doute que les Anglais ont utilisé une grande force d'inertie dans l'étude de ce dossier, pour des raisons obscures. S'il faut reconnaître que le flegme britannique peut être parfois un moyen efficace, il demeure très déconcertant pour nos esprits latins.

C'est pourquoi les efforts conjugués et permanents de Maître Castelain, avocat de l'E.N.I.M., de l'assistante sociale de l'U.S.M., Mlle Tillet et de nos services à l'UIM, ont permis, bien que tardivement de venir à bout de ce laborieux procès. Toutes les démarches possibles avaient pourtant été entreprises par notre Direction.

Les interventions auprès de M. Cavaillé, actuel Ministre des Transports ; de Mme Françoise Giroud, secrétaire d'Etat à la Condition Féminine, et auprès de M. Yvon Bourges, député, ancien ministre, n'ont pas été vaines.

Donc, à ce jour, toutes les veuves et ayants droit des victimes ont touché les indemnités attribuées par la Cour anglaise, lesquelles ont été amputées par le reversement d'une somme, personnelle à chaque famille, à l'E.N.I.M.

Il reste à ajouter que durant cette longue période une aide financière non négligeable de la Compagnie, puis du Comité d'Entreprise, a été apportée aux familles.

Même dans de dramatiques affaires comme celle-ci, il est bien difficile d'accélérer les rouages de la machine administrative, et qui plus est, lorsqu'une nation étrangère, régie par un Droit différent du nôtre, fait surgir de nombreuses difficultés.

M. SOLODOVNIKOFF, Chef du Service Juridique.

b/uim-80-avril 1976.

 

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