Henri CANGARDEL L'Armateur
Henri Cangardel avait une personnalité si exceptionnelle qu'il a pu atteindre sa 90e année sans tomber dans l'oubli : c'est une gageure en un temps où les hommes et leurs œuvres sont recouverts par le rythme trépidant de l'actualité dont les vagues succèdent aux autres comme celles d'une mer agitée. Il est malaisé de retracer la carrière d'Henri Cangardel tant ont été nombreuses les missions et les fonctions qu'il a remplies. Il a apporté dans ses missions et ses fonctions les qualités de l'homme qu'il était. C'est l'homme qui domine la carrière, qui apporte le bénéfice de sa personnalité dans les différents rôles qu'il est appelé à jouer. Dire qu'il est entré au Conseil d'administration du Comité central des Armateurs en 1920, qu'il a été membre du Conseil exécutif en 1923, puis élu à la vice-présidence en 1932 ne peut que montrer l'ascension rapide dans la profession de l'armement d'un homme qui avait déjà rempli dans la fonction publique des missions importantes qui l'avaient mis en contact avec les armateurs et les gens de mer, avec des hommes politiques notoires. C'est en 1917 que j'ai vu pour la première fois Henri Cangardel. La date est trop lointaine pour que je puisse me rappeler l'objet de sa visite mais je garde un souvenir précis du jeune et brillant administrateur de l'Inscription Maritime, grand et mince sous l'uniforme, le souvenir précis aussi de la grande impression qu'il m'avait faite au cours d'une conversation à bâtons rompus. Nos liens d'amitié, qui se sont développés au cours des années n'ont fait que confirmer mes premières impressions. Henri Cangardel était à la fois raisonnable et passionné, ardent et diplomate. L'intelligence brillait dans son regard clair. On y lisait le travail intellectuel qu'exprimait sa parole rapide, pleine de charme, de bonhomie et de sensibilité. Il faisait rapidement l'analyse du problème posé et entrevoyait dès l'abord les solutions possibles avec une imagination brillante dans la conception et une grande lucidité dans l'exécution. Il est toujours resté lui-même comme ceux qui pensent plus à leur tâche qu'à leur ambition. Nos contacts allaient peu après reprendre à un rythme accéléré. Henri Cangardel devait débuter dans l'armement par un coup de maître. L'armement lui avait demandé, avec scepticisme, d'exploiter ceux des éléments de la flotte d'Etat qu'aucun armateur n'avait pu intégrer dans sa flotte. Il s'agissait de navires en bois ou en ciment construits pendant les hostilités. Le cadre juridique de cette exploitation était la Société des Armateurs Français, créée en 1919. Stimulé par la difficulté de la tâche, aidé par ses dons d'organisateur et son imagination. Henri Cangardel rendit à l'armement le service inappréciable de liquider au mieux cet étrange assemblage de navires qui a été le point de départ de la flotte de tramping de l'Union Industrielle et Maritime. Il avait ainsi gagné le pari auquel personne ne croyait et pris un rang enviable parmi les membres du Comité des Armateurs. Pendant la longue collaboration d'Henri Cangardel au Comité, je puis dire qu'il a fait bénéficier la profession de toutes les qualités qui formaient sa personnalité. Il était avant tout préoccupé de «servir». C'est dire que ses interventions n'étaient dictées que par le souci de l'intérêt général. Qu'il fut gérant de l'Union Industrielle et Maritime ou président de la Compagnie Générale Transatlantique, il donnait largement l'appui de son expérience et de ses relations à la profession sans chercher à en tirer parti. Je n'ai pas qualité pour dire ce qu'Henri Cangardel apportait aux entreprises qu'il animait mais il était un entraîneur d'hommes. Il aimait à former les équipes qui l'entouraient. Il leur communiquait son ardeur, sa ténacité, ses vues élevées sans négliger la solution des problèmes journaliers que comporte une industrie si pleine d'imprévus et de cycles qu'est l'industrie des transports maritimes. Des noms me viennent à l'esprit : Maurice Fougère, gendre de M. de Rousiers ; Maurice Laparra, Charles Fourcher ; puis ses fils Maurice et Pierre-Edouard, dont il avait raison d'être fier ; à la Compagnie Générale Transatlantique Edmond Lanier, qui émerge d'une équipe précieuse, et Mlle Donon qui fut sa fidèle secrétaire jusqu'à sa mort. Des noms d'amis sont inséparables du sien, que je rencontrais aux « déjeuners du jeudi », chez Prunier dont René Moreux avait pris l'initiative, Alphonse Rio et tant d'autres qui valaient aux convives des moments de détente — n'est-il pas vrai, Christian Moreux — tant d'autres qui ont disparu mais qui restent présents dans notre mémoire. Ajouterai-je enfin que j'ai été, en son temps, témoin de tout ce qu'il a fait pendant la dernière guerre pour s'occuper des familles des marins qui travaillaient à bord de navires de la flotte interalliée. L'homme de cœur se souvenait aussi de ce que l'ancien administrateur de l'Inscription Maritime était, de par ses fonctions, le protecteur naturel des marins. Ce sont quelques souvenirs épars qui n'ont pas d'autre ambition que de rendre un hommage affectueux à un ami disparu, hommage auquel j'associe Mme Henri Cangardel qui fut une épouse admirable, pleine de simplicité et de bonté, et dont le décès le 11 août 1969, a été pour son mari une épreuve particulièrement douloureuse
Jacques MARCHEGAY, Vice-Président d'Honneur du Comité Central des Armateurs de France. Source B-60, avril 1971.
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